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nom de paciarii, majores paciarii. Ils remplacent, du consentement des évêques, les tribunaux ecclésiastiques, auxquels ces sortes de causes ressortissaient auparavant. C’est ainsi qu’un comte Thibaud, accusé d’avoir enlevé, emprisonné et pillé un comte de Nevers, se plaint de ce que le roi l’ait fait traduire au tribunal ecclésiastique, et demande à être renvoyé devant les juges de la paix, qui dépendent du roi lui-même ; le pieux évêque de Chartres appuie sa requête. Il y a même un concile de Montpellier qui menace d’excommunication ceux qui refuseront de se présenter devant ces mêmes juges, majores paciarii. Le principe et la juridiction de la trêve de Dieu se sécularisent, on le voit, d’un commun accord. Le mouvement religieux se confond dans l’ensemble des choses civiles qui émergent de toutes parts ; il se met au pas du mouvement monarchique dès que celui-ci marche réellement, et ces arrangemens obscurs, ces événemens imperceptibles d’une époque presque ignorée, sont la première page de l’histoire de cette administration française qui, ensuite d’un mouvement sourd et continu, assemblera le territoire et fondera l’unité nationale.

Rien d’admirable comme ces petits commencemens des grandes choses. Voici que, désireux de régner, eux aussi, sûrement et paisiblement dans leurs vastes domaines, les grands feudataires s’unissent pour étendre la trêve à la royauté même dont les progrès les inquiètent. Louis VII, en 1155, trois ans après la mort de Suger, croit le moment venu de marquer un point d’arrêt durable ; il s’empare de la trêve, la proclame en son propre nom, pour dix ans, et pour tout le royaume, toti regno, parole bien téméraire pour ce temps-là ! Mais en cet instant la haute féodalité est avec lui. Les évêques ont sollicité, les barons ont consenti, le roi jure la paix, le duc de Bourgogne, les comtes de Flandre, de Nevers, de Soissons, toute la baronie présente au concile, jurent la paix avec lui pour dix ans et pour tout le royaume ! C’était d’ailleurs toujours le même cri : protéger les églises, les propriétés, les marchands, les paysans, le bétail, la circulation des hommes et des choses. Seulement ce prince, très bien inspiré d’ailleurs, demandait trop ; il se trompait comme ces évêques qui, au siècle précédent, s’étaient imaginé qu’un bon serment imposé à tout le monde une fois pour toutes abolirait la guerre. Après tout, c’était un effort, et chacun y mettait son idée. Philippe-Auguste en eut une autre qui était excellente et produisit de grands fruits. Il attaqua le principe de la solidarité des familles dans les querelles de leurs membres ; c’était atteindre l’ennemi au cœur même de la place, car cette solidarité, consacrée dans les forêts de la Germanie, suscipere inimicitias patris, seu propitigiti, était toute l’institution ; elle était le palladium de cette vieille religion