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Nous avons vu le groupe des îles britanniques surgir en quelque sorte pièce à pièce du sein des mers, qui les ont successivement couvertes, déposées et soulevées. Vienne maintenant l’homme, le théâtre de sa puissance future est construit. Il se taillera des maisons, des palais, des édifices, dans le sépulcre des mondes éteints ; il pavera les rues des villes avec le lit des anciennes mers ; il couvrira ses habitations avec la boue durcie des premières eaux qui aient refroidi l’écorce granitique du globe. La distribution souterraine des métaux deviendra le germe des industries locales. Il est dans la nature des forces manufacturières de se porter sur les points du territoire où abonde la matière première, et où elle se présente avec des qualités supérieures. Les excellens produits géologiques font les excellens ouvriers. De là les incomparables fabriques de Sheffield, de Manchester, où le fer prend toutes les formes et engendre pour ainsi dire les organes, les muscles de la richesse sociale. Les antiques forêts, converties en masses inépuisables de charbon minéral, serviront à alimenter le troupeau des machines. Avec elles, l’homme fera le mouvement, il fera la vie ; sous sa main, il rassemblera les animaux échappés aux ruines des mondes engloutis ; par le croisement et la culture, il créera des espèces nouvelles avec les espèces anciennes ; il enrichira la flore indigène d’arbres et déplantes exotiques ; il fertilisera les terres arables en y semant la poussière blanche de la vie, le fumier végétal et animal des mers supprimées. La forme insulaire ne sera point elle-même étrangère à la civilisation de la Grande-Bretagne. Ces îles inviolées laissent flotter au loin la ceinture mouvante de leurs vaisseaux, qu’elles relient aux côtes dans les momens d’alarme. L’Angleterre n’a point besoin de forteresses : sa citadelle, c’est la mer. Les phénomènes géologiques ont dessiné les limites naturelles des états, et ces limites ont exercé une influence sur le développement du caractère national. Il est à observer que les races humaines répandues sur des espaces vagues n’ont jamais atteint qu’un degré peu avancé de l’état social ; celles au contraire qu’une ceinture de mer a forcées de se resserrer, de se grouper, de s’établir sur un territoire restreint, ont fondé de bonne heure des villes, ont contraint la terre à les nourrir, arraché à la nature les ressources que semblait leur refuser le cadre étroit des bornes géographiques. — Nous sommes maintenant préparés à étudier les mœurs de l’Angleterre. Dans la mythologie antique, Saturne était le père des dieux ; au point de vue de l’économie politique et de la physiologie actuelle de l’histoire, le territoire est le père des facultés humaines.