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effleurés par le dard de la foudre. De la mer surtout, le spectacle est sublime. À Douvres, c’est par un clair de lune qu’on doit contempler du rivage le mont sur lequel est bâti le vieux château, Dover Castle, à l’est de la ville, et qui se dresse perpendiculairement du sein des eaux sombres et agitées à une hauteur de plus de trois cents pieds. Séparé des autres montagnes voisines par de profondes vallées et par d’abruptes déclivités, il forme un hardi promontoire, d’où la vue s’étend à l’infini. Au-dessous se découvre dans une sorte de précipice le récif de Shakspeare, Shakspeare-Cliff, debout sur la mer comme le génie du vieux poète dramatique sur l’abîme des âges. De Douvres à Folkstone, les escarpemens de craie se continuent, et ces masses perlées sous certains jeux de lumière produisent un effet merveilleux, quelquefois formidable.

Il existe dans le Kent un grand nombre de carrières ou de fosses, chalh-pits, d’où l’on extrait la craie. Ce produit naturel sert dans certains endroits à améliorer les terres ; on la cuit aussi dans des fours pour faire de la chaux. La simplicité des moyens d’extraction contraste avec les procédés qu’on emploie dans les carrières de pierre. À quelque distance de Woolwich, un petit bois se groupe agréablement sur une colline, dont la base déchaussée laisse voir, sous une bande de sable, des masses de craie qui s’enfoncent à des profondeurs inconnues. Dans ces roches blanches et friables se creusent des grottes, des cavernes, où les bohémiens allument des feux. Au pied du bois est une carrière qu’exploite un seul ouvrier. Il entame, semaine par semaine, les couches de craie, dont il jette au four les fragmens divisés au marteau. Presque à chaque coup, sa pioche heurte les débris d’un ancien monde : il recueille les fossiles les mieux conservés et les met dans une corbeille. Cet ouvrier est une espèce de philosophe ; dans une sorte de chambre qu’il a creusée à travers l’épaisseur du massif, il fait sa toilette de travail ; il s’y retire dans les grosses pluies, quelquefois il y couche. Il y a néanmoins à Charlton et à Greenhithe des puits à chaux beaucoup plus considérables, et qui emploient un assez grand nombre d’ouvriers. Ces ouvriers logent à côté de la carrière dans de petits cottages, dont l’intérieur est orné par des moulures naturelles, des empreintes de ce qui a vécu, des figures du temps passé de la création, bien préférables à ces figures de plâtre qu’on rencontre d’ordinaire dans la maison du pauvre. Si un amateur se présente, ils vendent quelques-uns de ces fossiles : ce sont leurs petits profits. L’aspect ruineux des carrières elles-mêmes ne manque point de caractère : ces grossiers pilastres, ces excavations, ces blocs arrachés et renversés, les murs de sable mis à nu, le mouvement des wagons chargés de craie sur les rubans de fer, les ouvriers blancs de la poussière des siècles, tout cela forme une scène curieuse à laquelle s’ajoute un intérêt