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à travers l’Angleterre, sur une largeur moyenne de trente milles, un autre système de roches qui donne à toute cette contrée une physionomie nouvelle : je parle des roches oolithiques[1]. Des pentes plus douces, un mouvement du sol moins tumultueux, des vallées entrecoupées de ruisseaux et revêtues d’une riche végétation, vous avez là sous les yeux ce que les Anglais appellent un paysage apprivoisé, tame landscape, par opposition au caractère rude et sauvage des terrains primitifs. Cette formation n’étonne plus, elle plaît. Sur le parcours de ces masses d’oolithe se rencontrent plusieurs carrières qui fournissent d’excellens matériaux à l’art de bâtir, surtout celles de Bath, dont la pierre devient plus dure étant exposée à l’air, et celles de Portland. L’île de Portland s’élève à une hauteur considérable au-dessus du niveau de la mer, et présente vaillamment, du côté du port, une citadelle de récifs. À l’ouest s’étend une ligne horizontale de cailloux, morne, désolée, sans herbe, sans arbre, sans maison, sans habitans, le Chesil bank, qui relie cette île à l’Angleterre. Les carrières sont situées au nord de l’île. Il y en a au moins une cinquantaine. Les couches qui occupent le sommet de l’oolithe sont d’une couleur sombre et jaunâtre ; on les brûle pour faire de la chaux. Le lit suivant est d’une couleur plus blanche, plus gaie à l’œil : on l’exploite pour l’architecture. Le portique de la cathédrale de Saint-Paul à Londres et plusieurs bâtimens érigés sous le règne de la reine Anne ont été construits avec cette pierre. Les géologues anglais ont fait observer que les anciens édifices étaient bâtis avec des pierres très supérieures à celles de nos édifices modernes, au moins sous le rapport de la durée. On n’épargnait alors ni le travail ni la dépense pour vaincre la dureté de ces matériaux bruts qui assurent la vie aux ouvrages d’art. Les carrières de Portland sont pourtant encore le théâtre d’un commerce considérable : en 1855, la quantité de pierres voiturées sur le railway a été de 22,995 tonnes. Il est curieux de suivre sur place la transformation de ces blocs sous la main de l’homme, depuis le moment où, extraits de la couche en vastes masses par les explosions de la poudre, ils reçoivent une première taille en rapport avec la place qu’ils doivent occuper dans les édifices, jusqu’à l’heure où, disposés sur des chariots de pierre à fortes roues de bois et tirés par des chevaux, ils sont conduits vers un chemin de fer dont la pente naturelle les roule au bord de la mer pour être chargés sur des navires. Les ouvriers de ces carrières se distinguent par des formes athlétiques ; leurs cheveux noirs et abondans, leur teint orange, leurs traits réguliers et hardis, leurs yeux noirs aux paupières demi-closes (conséquence de l’éclat de la

  1. Ainsi nommées parce qu’elles s’effritent sous les doigts en grains qui ressemblent à des œufs de poisson, οον (oon) et λίθος (lithos).