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des premières nouvelles de l’insurrection ? Au lieu de cet intérêt si clair, si évident, l’Angleterre s’attacherait-elle à des intérêts moins avouables ? Les uns disent que le gouvernement anglais, tenant à conserver par le cap de Bonne-Espérance le monopole du commerce et de la navigation des mers orientales, redoute d’admettre par l’isthme la concurrence des pavillons méditerranéens, même avec la certitude que les commerçans anglais conserveront par cette dernière voie une immense supériorité et verront centupler le mouvement de leur marine. D’autres assurent que le canal, introduisant les vaisseaux de toutes les nations sur le territoire égyptien et créant à toutes un intérêt à la conservation de l’indépendance et de la prospérité de ce pays, ne peut être vu d’un bon œil par un gouvernement qui convoite la possession de l’Égypte, et qui n’aurait pas de meilleurs auxiliaires pour atteindre son but que le renouvellement dans la vallée du Nil de l’ancienne oppression, de l’ancienne misère et de l’ancienne anarchie. Nous aimons à croire qu’aucune de ces suppositions n’est fondée.

L’ouverture de l’isthme de Suez suffirait seule pour illustrer le gouvernement d’un vice-roi d’Égypte. On voit pourtant que ce grand projet n’est pas le seul qui ait occupé Saïd-Pacha depuis son avènement. Administration, propriété, commerce, instruction, travaux publics ont été tour à tour en Égypte l’objet de réformes conçues dans un esprit libéral qui mérite les applaudissemens du monde civilisé. En résumé, c’est l’œuvre de Méhémet-Ali qui se continue aujourd’hui sur les bords du Nil, mais sous la direction d’un prince mieux pénétré de l’esprit de son temps. Il n’y a pas de comparaison à établir entre l’état de l’Égypte à la mort de Méhémet-Ali et sa situation actuelle. Méhémet-Ali n’a pas eu le temps de faire autre chose qu’une ébauche : il avait posé ça et là des assises ; mais la guerre l’a empêché d’élever un édifice solide et durable. Il appartenait à son fils de poursuivre cette œuvre de paix, en profitant de toute l’expérience acquise, et en se gardant de retomber dans les fautes inévitables du début. Commencée au nord et au midi de l’empire ottoman, la réforme aura-t-elle un succès complet ? Sur bien des points, la question reste encore douteuse ; mais ce qui est certain, c’est que l’Égypte est dans de meilleures conditions pour mener à bien cette grande entreprise que le reste des états du sultan. La population, composée de plus de trois millions d’habitans, est homogène et docile ; elle possède un gouvernement dont l’influence morale est partout prépondérante. Que ce gouvernement persiste dans la voie où il marche depuis trois ans, et le succès de la réforme en Égypte paraît assuré.


PAUL MERRUAU.