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Ce calcul est établi sur le relevé du mouvement commercial, et l’on a évité à dessein de l’exagérer. Depuis l’époque où ce chiffre a été posé, la valeur des échanges de l’Europe et de l’Amérique du Nord avec les vastes bassins qui s’étendent au-delà du cap de Bonne-Espérance et du cap Horn a augmenté considérablement. Le concessionnaire, qui avait prévu cette augmentation, supposait qu’elle serait de 100,000 tonneaux par an ; or dès la première année elle s’est élevée à près de 200,000 tonneaux, ce qui prouve que, loin d’enfler le chiffre du produit probable, on l’a laissé au-dessous de la vérité. Puisque le canon va ouvrir en Chine de nouveaux débouchés, ce mouvement d’échanges ne tardera pas à recevoir une plus grande impulsion.

Ce n’est cependant pas la seule source de produit qui soit ouverte à la compagnie. Elle obtient cession de terres actuellement abandonnées que traversera un canal d’eau douce, et qui seront fécondées au moyen de saignées d’irrigation. La vente ou la location de ces terres constituera une partie très notable des revenus de l’entreprise. En réunissant ces divers élémens, on évalue de 30 à 40 millions par an le produit total assuré aux concessionnaires. Or le capital engagé ne doit pas dépasser 200 millions. Comme affaire financière, le percement de l’isthme de Suez serait, dans ces termes, une fort belle opération ; mais il faut l’envisager de plus haut. Une abréviation de trois mille lieues dans la traversée d’Europe aux mers d’Asie ne représente pas seulement une activité commerciale doublée, un fret diminué de moitié, et l’intérêt du capital général augmenté en raison de l’augmentation du nombre des voyages : elle représente surtout une diffusion des lumières et de la civilisation occidentales dans une partie du monde où l’Europe n’a d’accès aujourd’hui que rarement et difficilement ; elle annonce l’émancipation morale et intellectuelle de centaines de millions de créatures humaines. L’Afrique orientale va se trouver sur le passage habituel de la navigation. Le commerce ne tardera pas à exploiter des régions qui lui sont maintenant fermées. Cette Mer-Rouge, qu’on a cherché à représenter comme inhospitalière, sera bientôt sillonnée, fouillée en tous sens, par des bateaux à vapeur. C’est une ère nouvelle qui s’ouvre en Orient.

Serait-il possible que l’intérêt de la Turquie se trouvât en opposition avec cet intérêt général de toutes les populations orientales ? Le canal de Suez ne peut servir à établir l’indépendance de l’Égypte. La position de l’Égypte est réglée par des traités que l’Europe a garantis ; elle ne pourrait changer que par la volonté de toutes les puissances. Ce n’est pas un canal de plus ou de moins qui peut arrêter la marche d’une armée ; mais lorsque ce canal est situé de telle sorte qu’en l’occupant l’Europe se trouve toute placée pour remplir avec une autorité irrésistible le rôle de médiateur, il donne une