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cru devoir entreprendre. Le canal continua donc à s’envaser, et lorsque Mohammed-Saïd arriva au gouvernement de l’Égypte, le mal était devenu si grand, qu’il fallait nécessairement, ou bien y porter un remède immédiat, ou renoncer à utiliser désormais un ouvrage qui avait coûté tant de peine, tant d’argent et tant de bras. Le vice-roi n’hésita pas ; il décida qu’on opérerait le curage du Mahmoudieh, et que l’entreprise serait exécutée en peu de jours. Mohammed-Saïd disposait d’un élément de succès qui avait manqué à ses prédécesseurs, — la confiance du peuple égyptien et la ferme résolution de la mériter.

Il était important de se hâter. L’opération devait être terminée avant l’époque de la moisson, qui approchait. L’un des ingénieurs du vice-roi, M. Mougel, fut chargé de calculer ce qu’il y avait de matière à remuer pour curer le canal et ce qu’il faudrait de bras pour achever rapidement l’opération. Il supposa l’existence de trois millions de mètres cubes de vase répandus sur les quatre-vingt mille mètres de longueur du canal. Chaque ouvrier devant déplacer un mètre et demi de matière par jour, il fallait soixante-sept mille hommes pour curer le canal en un mois. L’ordre de réunir ce nombre d’ouvriers fut envoyé dans les provinces. Le contingent de chaque localité avait été fixé d’avance, et la part de travail qui revenait à chaque contingent avait été également déterminée. Il était entendu que les ouvriers retourneraient dans leurs foyers dès qu’ils auraient achevé le travail qui leur était assigné. C’était une prime accordée à l’activité. Au lieu de soixante-sept mille hommes, les provinces en envoyèrent cent quinze mille. On avait compris partout la nécessité d’en finir au plus vite. À peine arrivés, les travailleurs se mirent à l’œuvre. Les contingens avaient leur place marquée par des poteaux sur l’espace de vingt lieues où se développe le canal. On leur fit une distribution d’outils : une pioche par cinq hommes. L’un maniait l’instrument, un second chargeait les paniers, les trois autres transportaient en courant le contenu à l’endroit où le vice-roi avait décidé l’établissement d’une route. Chaque matin les ouvriers, sur toute l’étendue de la ligne, recevaient une ration de biscuit frais. En outre, des marchés de comestibles étaient établis à portée des travailleurs. Les temps sont bien changés, et la condition du paysan aussi, depuis le règne de Méhémet-Ali. À la misère a succédé l’abondance. L’argent n’est plus une rareté dans les mains des fellahs. Sous un gouvernement juste, ils ont déterré l’or qu’ils cachaient autrefois si soigneusement ; ils ne craignent plus d’exposer leurs économies au grand jour. Il en est qui font construire de belles maisons, qui achètent des terres et des bestiaux. Rien d’étonnant que l’argent circulât dans les mains des ouvriers employés à curer le canal, et