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où l’horizon n’est fermé par aucune élévation de terrain, succèdent des champs admirablement cultivés et entrecoupés de mille canaux qui se croisent dans tous les sens, et qu’on pourrait comparer aux mailles d’un filet jeté à terre. Ici s’élèvent des villages composés d’une trentaine de huttes, construites avec de la boue ; là des villes en pierres, surmontées de minarets et de coupoles, abritées çà et là par des bouquets de palmiers. La population est laborieuse, active ; point de ces noirs couchés comme des lézards, le dos au soleil, pendant les heures du travail. Les uns puisent de l’eau pour l’arrosage des terres ; les autres lient des gerbes de maïs. Nous n’avons jamais vu d’habitations humaines donner une imitation plus parfaite d’une ruche en travail que tel ou tel village, aux rues étroites et sinueuses, où notre œil plongeait du haut des wagons, et où il était impossible de signaler la moindre trace d’oisiveté.

Le chemin de fer a été promptement adopté par la population indigène, et c’est un fait curieux à noter que la plus grande partie de ses produits provient du transport des fellahs. Dans le principe, on ne comptait guère sur d’autres revenus sérieux que ceux du transit anglais : voyageurs et marchandises. Au contraire ce sont les fellahs, payant 10 francs aux troisièmes places, qui font le bénéfice principal de l’exploitation. C’est un élément nouveau dans le calcul des revenus probables des entreprises projetées. Il arrivera en Égypte ce qui se produit partout ailleurs : la facilité et la rapidité des communications multiplieront à l’infini les voyages et les échanges. Transport par eau, transport par terre, canaux et voies ferrées, ont désormais dans le pays une clientèle assurée. Par le fait, le chemin de fer, que Méhémet-Ali supposait devoir être à charge à l’état, constitue l’une des ressources du trésor. La première année, il avait produit 30,000 bourses ou 3,750,000 fr. ; la seconde année, la recette s’est élevée à 40,000 bourses ou 5,400,000 francs.

Reste à terminer ce chemin jusqu’à Suez. On sait qu’à part une zone de terres cultivées autour du Caire, le pays est un désert entre cette ville et Suez. Suez est à peu près à la hauteur du Caire, et la route de poste est tracée en droite ligne entre ces deux villes : c’est le plus court chemin ; mais il y avait un double inconvénient à le suivre. D’abord il eût fallu passer à travers des terres cultivées qui, de ce côté et par exception, partent du Caire et forment comme un cap dans le désert. Or les propriétés particulières aux environs de cette ville ont une très grande valeur, et, pour désintéresser les possesseurs, il aurait fallu payer de 15 à 18,000 francs l’hectare. En second lieu, le désert est coupé par une ramification montagneuse du Mokattam, qui s’élève à 300 mètres au-dessus de la mer. La route de poste attaque de front ce point culminant, et le franchit