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Sidoine éprouvait peut-être aussi en face du public l’embarras d’un homme qui n’a point été conséquent avec lui-même. Il lui était arrivé plus d’une fois de blâmer ces élections d’évêques un peu capricieuses comme la sienne, et entachées d’une violence morale qu’un censeur rigide pouvait condamner au fond, si honorable qu’elle fût pour l’élu. Lui-même avait porté ce jugement à propos d’un de ses amis devenu évêque à contre-cœur. Dans une lettre soigneusement rédigée, et que sans doute on s’était passée de main en main, comme tout ce qui venait de lui, il avait peint sous des couleurs tant soit peu moqueuses cet amour populaire, ardent jusqu’à la faction, qui privait un citoyen de son repos et des joies de la famille pour le river, quoi qu’il en eût, à la chaîne d’un évêché, c’étaient là ses propres paroles. Quelque opposant malicieux ne pouvait-il pas lui demander, sa lettre en main, ce qu’il avait fait de ses censures ? Enfin le haut personnage, habitué aux susceptibilités de la vie mondaine, redoutait les critiques de l’opinion, les railleries des gens de sa classe, les tracasseries du corps dans lequel il venait d’entrer, et en effet rien de tout cela ne lui fit défaut. Le clergé n’avait pas vu sans grand dépit un laïque préféré pour l’épiscopat à des candidats ecclésiastiques, et une guerre sourde, excitée au sein de l’église de Clermont par quelques prêtres mécontens, éclata bientôt contre lui. Dans le monde, on ne l’épargna guère non plus : les uns le taxèrent de trop d’ambition, les autres de trop de modestie, et il ne manqua pas de hauts dignitaires, bouffis de prétentions administratives, qui accusèrent Sidoine d’avoir dérogé en troquant le manteau de patrice pour la chape de l’évêque, et affectèrent de le traiter en inférieur. Dans ces circonstances, Sidoine, blessé au vif, se relevait avec une humilité pleine d’orgueil et savait imposer aux plus importans le respect de sa profession en même temps que celui de sa personne. Ces ennuis misérables lui faisaient dire dans son style, resté toujours un peu mythologique, qu’il ne voyait autour de lui que Scyllas béantes, et qu’il n’entendait qu’aboiemens de Charybdes à voix humaine.

Livré à tant d’incertitudes sur lui-même et sur les autres, le nouvel évêque eut recours à ses collègues. En leur notifiant son ordination, il leur ouvrit son âme, il leur peignit ses scrupules ; il invoqua leurs prières, leurs conseils, leurs encouragemens, s’il était dans la voie de Dieu. Plusieurs l’avaient déjà prévenu, beaucoup d’autres lui répondirent : c’était l’expérience qui parlait par la bouche de ces saints personnages, car la plupart avaient ressenti ces défaillances intérieures et avaient été battus des mêmes orages. Ceux qui dédaignèrent de répondre firent au cœur de Sidoine une blessure qui saigna longtemps, mais qu’il sut accepter avec humilité.