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les demandes de l’Angleterre, il s’était abrité derrière le gouvernement de Constantinople, et il avait laissé dire que le consentement du sultan était indispensable pour l’exécution d’un tel travail. Naturellement les Anglais avaient protesté contre cette interprétation des traités, parce qu’elle paraissait devoir être soutenue par la France ; ils avaient dit avec beaucoup de raison que ce travail rentrait dans les attributions du prince chargé de l’administration intérieure de l’Égypte ; mais après 1848 l’Angleterre, ayant vu son influence grandir dans les conseils du sultan, profita de la position prépondérante qu’elle était en train d’y acquérir pour peser sur Abbas-Pacha. Lord Stratford de Redcliffe, ambassadeur de la Grande-Bretagne auprès de la Sublime-Porte, reçut l’ordre d’insister auprès du divan pour obtenir qu’il secondât les vues du gouvernement britannique. En effet, le pacha d’Égypte ne tarda pas à recevoir une lettre du sultan par laquelle il était mis en demeure de construire enfin ce chemin de fer dont l’exécution était sollicitée depuis plus de dix ans. Abbas se trouva fort empêché dès-lors entre les sollicitations de l’Angleterre appuyées par la Porte et le veto que la diplomatie française avait prononcé sous le gouvernement de Louis-Philippe. Du reste, comme il penchait beaucoup à ne rien faire, et qu’il ne voulait cependant blesser ni le sultan, ni les Anglais, il envoya à Paris un agent, pensant peut-être provoquer ainsi de nouveaux délais ; mais les temps et la politique étaient changés. Le gouvernement français n’avait plus d’objection contre l’établissement du chemin projeté, et l’agent d’Abbas-Pacha reçut au ministère des affaires étrangères la réponse la moins favorable à ses vues. Manquant désormais de point d’appui pour continuer sa résistance, le gouvernement du pacha dut s’exécuter de bonne grâce.

Un ingénieur anglais fit un premier tracé, qui par le fait ne se trouva pas très praticable, bien que l’auteur eût demandé et obtenu pour prix de son travail la somme énorme de 56,000 livres sterling (1,400,000 francs) et même davantage. Il fallut rectifier le tracé, et l’on s’adressa au même ingénieur, qui réclama une nouvelle rémunération fixée par lui à 16,000 livres sterling (400,000 francs) ; mais cette prétention parut exorbitante, même au consul d’Angleterre, M. Bruce. Ce fonctionnaire, choisi pour arbitre entre le gouvernement égyptien et l’ingénieur britannique, jugea que ce dernier serait très convenablement rétribué, s’il recevait 6,000 livres sterling, somme qui lui fut comptée en effet. En définitive, le chemin de fer d’Alexandrie Il Suez fut exécuté principalement par des ingénieurs égyptiens, ceux que l’ingénieur anglais avait engagés dans les îles britanniques s’étant trouvés généralement incapables de faire ce qu’on appelle les travaux d’art. En 1854, il était fort