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les intérêts. À cette époque, le transit des voyageurs et des marchandises à destination Ou en retour de l’Inde se faisait en barques sur le Nil, en voitures et à dos de chameau. On avait organisé un service de navigation, des relais de bêtes de somme et de chevaux ; on avait établi des stations, des auberges, ou l’équivalent. Enfin, sur tout le parcours d’Alexandrie à Suez, le service de communication était établi d’après le système qui est encore en vigueur sur une partie de la route, entre le Caire et Suez, où les travaux de la voie ferrée ne sont pas achevés. C’était toute une administration, et elle était entièrement entre les mains des Anglais. Le pacha crut convenable de substituer son autorité directe à celle que les agens britanniques exerçaient sur la ligne du transit. Il attendit l’occasion et ne la laissa pas échapper. Le directeur de l’exploitation ayant été trouvé en faute, il désintéressa les agens anglais et leur substitua ses propres employés.

Cependant le projet d’établissement du chemin de fer restait toujours suspendu. Méhémet-Ali avait calculé que ce travail lui coûterait 25 millions du Caire à Suez, et ce parcours ne pouvant offrir d’utilité que pour les communications avec l’Inde, il était permis de prévoir que l’exploitation en serait onéreuse. Il s’appuya sur ces considérations pour ajourner toute réponse à la proposition anglaise. C’est en 1845 qu’il avait pris entre ses mains l’administration du transit, et jusqu’à sa mort, arrivée en 1848, il resta sourd aux instances de l’Angleterre.

Abbas-Pacha, son successeur, craignait les Anglais plus qu’il ne leur était sympathique. Préoccupé surtout de s’assurer la jouissance tranquille de son pouvoir et d’en faire tourner toutes les prérogatives au profit de ses passions, il était l’ennemi des innovations, des améliorations, surtout lorsqu’elles ne devaient avoir cours qu’avec difficulté et à travers le conflit des influences diplomatiques. L’Angleterre ne se découragea pas cependant : elle réitéra ses instances, qui ne furent pas mieux accueillies. C’est alors qu’elle modifia son projet de manière à le rendre plus acceptable. Construire un chemin de fer du Caire à Suez, à travers un désert, c’était travailler trop ouvertement dans des vues purement anglaises et manifester un dédain trop marqué pour l’intérêt du pays auquel on demandait l’exécution de cette voie ; mais établir un railway d’Alexandrie au Caire, à travers les provinces les plus fertiles et les plus peuplées de l’Égypte, c’était tout différent. L’intérêt anglais se dissimulait ici sous celui de la population égyptienne, et la proposition perdait ce caractère d’égoïsme qui d’abord en avait presque justifié le rejet.

Il y eut alors dans la diplomatie en Orient un changement de front très remarquable. Lorsque Méhémet-Ali avait pris la résolution d’éluder