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celui d’aliéner ou d’acquérir. Chaque jour, la vente et l’achat des terrains donnent lieu à des transactions très nombreuses. Ce n’est pas exactement encore la propriété, c’est au moins le droit d’user de la terre, droit exclusif pour le cultivateur, et garanti tant que celui-ci paie ses contributions.

Le mode de paiement de ces contributions nécessitait également une réforme. Au temps de Méhémet-Ali, la contribution se payait en nature sur le produit des récoltes ; on sait comment l’impôt se trouvait considérablement augmenté par les fraudes de toute espèce qui se commettaient au détriment des cultivateurs, souvent sans l’aveu du gouvernement et au profit des agens intermédiaires. Ce n’eût été rien encore si le fellah, ruiné par ces abus, ne se fût pas du moins endetté ; mais loin de là ! Les villages, à bien peu d’exceptions près, étaient arriérés dans le paiement des contributions, à ce point qu’il leur eût été impossible de s’acquitter jamais, et que chaque année au contraire s’augmentait le montant de la créance de l’état. Mille causes tendaient à jeter le cultivateur dans la misère. La guerre était une des principales. Elle enlevait les bras les plus jeunes et les plus robustes ; souvent elle ne laissait que des forces insuffisantes pour la culture et pour le travail si important et si pénible de l’arrosage. Les terres étaient négligées ; elles tombaient en friche ; pourtant l’état ne devait rien perdre. L’impôt était établi, non par individu, mais par village. Les habitans étaient solidaires les uns des autres, et quand l’un d’entre eux devenait insolvable, la charge de ses contributions retombait sur tous les autres. Ainsi personne ne savait d’avance le montant de la somme dont il pourrait être redevable avant la fin de l’année.

Le chef du village, le cheik-el-beled, qui avait mission de faire rentrer l’impôt, épuisait, il est vrai, d’ordinaire tous les moyens en son pouvoir pour obliger les vrais débiteurs à payer. Avec ou sans récolte, ils étaient sommés d’acquitter leur quote-part. On vendait leur bétail, on les soumettait aux châtimens corporels, parfois à la prison. Pour y échapper, le fellah, quand il avait vu disparaître ses dernières ressources, s’esquivait nuitamment. Un grand nombre trouvaient un refuge en Syrie avant la conquête de ce pays par Méhémet-Ali ; ce fut même une des causes ou plutôt un des prétextes d’une guerre dans cette province, alors que Méhémet, ayant réclamé l’extradition de ses sujets fugitifs et n’ayant pas obtenu de réponse favorable, fit dire qu’il irait les chercher lui-même.

Des villages entiers se trouvaient dans la même situation que les particuliers. L’impossibilité de payer l’impôt avec l’arriéré les conduisait souvent à la ruine. L’ordre de faire rentrer les contributions était expédié d’Alexandrie, du Caire, ou de la ville d’Arabie qu’occupait