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qu’à leur intérêt personnel pendant leur court passage à la tête de l’administration d’un pays. L’Égypte, plus qu’aucun autre peut-être, sait ce que vaut le gouvernement des proconsuls.

Malheureusement, une fois l’hérédité obtenue, Méhémet-Ali crut sa tâche accomplie. Dès que les traités de 1841 eurent décidé du sort de l’Égypte et limité le pouvoir du vice-roi, Méhémet-Ali laissa tomber une à une toutes les institutions qu’il avait empruntées à la civilisation occidentale. C’est qu’il n’avait jamais aimé cette civilisation pour elle-même. Il l’avait moins adoptée en vue de changer le sort du peuple égyptien, que pour favoriser ses desseins politiques. Il s’en était servi surtout comme d’un instrument de conquête. Le successeur immédiat de Méhémet-Ali, son petit-fils, Abbas-Pacha, qui tint le sceptre de l’Égypte comme héritier direct d’Ibrahim-Pacha, à qui cette succession devait d’abord échoir, prit, comme Méhémet-Ali, assez peu de souci du bonheur des Égyptiens. Il n’y avait en lui aucune étincelle de la noble ambition de son prédécesseur, aucune trace de son génie. Aussi ne montra-t-il nul désir de favoriser le progrès et d’introduire aucune réforme. Ce fut un vrai prince de l’ancien Orient. Défiant, sombre, insoucieux des destinées du pays que Dieu avait confié à ses soins, Abbas aimait à se retirer dans le secret de ses palais et à s’isoler au milieu de ses gardes, pour vivre de cette vie des despotes ombrageux et voluptueux de l’Orient, où le sang se mêle à l’orgie. Le palais Bar-el-Béda, qu’il a fait construire sur la route de Suez, en plein désert ! — un palais sans eau, qui se dresse dans la solitude, comme le muet témoin d’une existence inutile, souillée, et d’une mort tragique, — frappe le voyageur à la fois d’étonnement et d’une sorte de crainte. L’imagination se représente cet édifice hanté par l’esprit inquiet et énervé de son fondateur, un cœur trop peu énergique pour avoir fait beaucoup de mal, un esprit trop inculte pour avoir fait aucun bien. Heureusement pour l’Égypte, Abbas-Pacha était faible dans ses rapports avec les puissances européennes, et les représentans de ces puissances purent constamment tenir en échec son hostilité sourde contre la civilisation occidentale ; tutelle utile quand elle s’exerce sur un prince tel qu’Abbas-Pacha, mais qui devient tracassière et funeste quand elle prétend intervenir dans l’administration d’un souverain actif, éclairé, animé d’intentions libérales, comme le vice-roi aujourd’hui régnant.

Mohammed-Saïd, le successeur d’Abbas-Pacha, est né en 1822, neuf ans après Abbas, son neveu. Ce prince a été élevé en Égypte par des professeurs français. Un orientaliste distingué, qui n’a jamais quitté son élève et qui est devenu son secrétaire des commandemens, M. Kœnig, a le mérite non-seulement de l’avoir instruit dans