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domicile est, de toutes les formes de l’assistance, celle qui a constamment donné les meilleurs résultats. Elle risque moins de s’égarer, laisse plus de chance à une vérification sérieuse et s’adresse aux misères les plus dignes d’intérêt, celles qui se cachent. Le secours à domicile n’a les inconvéniens ni de la mendicité qui bat le pavé des rues, ni des aumônes qui se délivrent dans les bureaux. Il ménage la pudeur de l’assisté, choisit mieux la nature des dons, les mesure avec plus d’intelligence. Quant aux secours en nature, l’utilité s’en démontre d’elle-même. On a vu où aboutissent les distributions en argent : c’est le cabaret qui les absorbe, et on compte en France 350,000 cabarets. L’aumône est ainsi détournée de ses voies ; elle ne va plus à la famille, elle ne défraie plus des besoins réels ; elle alimente la plus ignoble des passions et ajoute un abrutissement de plus à l’abrutissement de la misère. De là une préférence à donner, toutes les fois que c’est possible, au secours en nature, en le combinant avec le secours à domicile. Les deux formes d’assistance se complètent ; on a ainsi une garantie plus grande que celle que présente l’individu : on a le ménage.

Mais au-dessus, bien au-dessus de ces détails d’exécution et de ces règles de conduite, il doit exister un souci plus vif et plus général : c’est de relever parmi nous, par tous les moyens, le niveau de la dignité individuelle. La misère n’est pas seulement une plaie matérielle ; elle est encore et surtout une plaie morale. Plus le sentiment de la dignité personnelle est vif chez un peuple, moins il donne le spectacle de ce genre d’abaissement. Cela ne tient pas toujours à la richesse des états ni au degré de civilisation où ils sont parvenus ; le caractère des populations compte ici pour beaucoup. Telle race supportera dignement sa médiocrité ; telle autre s’avilira dans la richesse. On pourrait citer l’Arabe, qui ne tend jamais la main et dont la dignité ne se dément pas, même sous les haillons. C’est la dignité personnelle qui empêche de demander à l’aumône ce qu’on peut obtenir par le travail, et elle est ainsi la meilleure sauvegarde contre le paupérisme, qui s’éteint faute d’aliment là où ce mâle instinct a jeté des racines profondes. Mais cette dignité, comment l’acquérir ? comment la retrouver quand on l’a perdue ? Demandez-le aux peuples qui, à leur origine, ont été les plus dignes que la terre ait jamais connus, et qui, pour s’être abandonnés un jour, ont été conduits, de faute en faute, de déchéance en déchéance, à un complet anéantissement. La dignité ne s’enseigne ni ne se définit ; c’est une vertu de race qui se développe par la culture et se perd par le mélange. Souhaitons à notre pays qu’il garde et accroisse ce qui lui en est échu : c’est le don par excellence et le signe le plus noble que Dieu ait gravé sur le front humain.


LOUIS REYBAUD, de l’Institut.