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comprendre par surprise sur la liste des personnes participant aux secours. D’autres en revanche, se sentant encore valides, demandèrent au travail les moyens d’existence qu’ils tiraient naguère de l’aumône. En résumé, la transformation fut pacifique ; il y eut bien quelques cris poussés et quelques menaces proférées, mais l’effervescence dura peu, et une attitude bienveillante la désarma sans beaucoup d’efforts.

Telle est l’expérience qui s’est accomplie dans la Nièvre sous l’administration de M. de Magnitot. Aux faits qui viennent d’être exposés, je n’ajouterai que peu d’observations. L’acte du préfet de la Nièvre part d’un bon sentiment ; il date d’hier, et Dieu me garde d’en affaiblir les chances par l’expression d’un découragement prématuré. Au fond, M. de Magnitot a raison. Le décret de 1808 et les articles du code pénal qui en furent la conséquence doivent avoir pour correctif un exercice mieux entendu et plus général de la charité privée. Il faut que celle-ci se montre d’autant plus active que la loi est plus rigoureuse. C’est un devoir, et des plus étroits. Babbage, en parlant de la taxe des pauvres, l’envisage comme une sorte de rachat et dit que l’Angleterre paie ainsi en bloc sa sécurité. La charité privée peut, en France, faire le même calcul et le même raisonnement. En allant au-devant du mal, elle s’exonère de la plainte, elle s’épargne le spectacle de nos plaies sociales et l’ennui de tristes et perpétuelles obsessions. Il convient donc de faire marcher parallèlement la répression et l’assistance : ce sont des termes qui se correspondent.

Jusque-là, on ne peut que partager les idées de M. de Magnitot ; mais un point sur lequel il me paraît impossible de s’accorder avec lui, c’est l’immixtion de l’élément administratif dans une œuvre de charité privée. Et d’abord notre gouvernement n’est-il pas assez chargé de besogne pour qu’on évite de lui attribuer encore celle-là ? Puis, outre l’embarras, il y a la responsabilité. Les indigens, quand l’aumône est directe, n’ont pas à se plaindre de la part qui leur échoit : c’est l’effet de leur chance, ils s’y résignent aisément ; mais si l’aumône est indirecte, leurs dispositions se modifient et deviennent tout autres. À l’instant ils s’en prennent au dépositaire et le poursuivent de leurs soupçons. Si c’est l’autorité, ils ne manqueront pas de dire qu’elle procède aux distributions avec partialité, qu’elle a des préférences, des faveurs, ses pauvres en un mot, et qu’elle les choisit parmi ceux qui affectent le plus de servilité et d’hypocrisie. De toutes les façons, la responsabilité du pouvoir est engagée dans un acte qui n’est pas naturellement de son domaine et pour des fonctions qu’il aurait pu abandonner à l’activité privée. Bien des signes attestent que c’est là une des maladies du temps. Sous prétexte de régularité, on étouffe l’indépendance, même la plus inoffensive ;