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les famines, le pillage et les invasions des hordes du Nord ! La charité fut plus puissante que tous ces obstacles ; elle adoucit les maux qu’elle ne pouvait guérir, et resta debout sur les ruines dont le sol était couvert. Limitée d’abord, son action s’étendit en raison des progrès de l’église, et devint universelle sous les empereurs convertis. On fonda des hospices où les malheureux trouvèrent un asile et du pain, on délivra les captifs, on distribua des secours avec un discernement que les sociétés païennes n’avaient pas connu. Ce fut entre le pouvoir spirituel et le pouvoir séculier une sorte de lutte, où celui-ci resta longtemps subordonné. L’église avait fait de la charité un de ses titres et une de ses forces ; elle ne s’en dessaisit pas et ne laissa l’état intervenir à côté d’elle qu’à titre d’auxiliaire. Dans l’histoire de l’assistance, les deux rôles sont bien marqués, et il est utile de rechercher en quoi ils diffèrent : c’est le trait par lequel les civilisations modernes se séparent des civilisations du passé.

Sans doute la part des souverains fut grande dans les établissemens et les institutions de charité. Les plus illustres et les plus sages tinrent à honneur d’y attacher leur nom. Constantin fit aux pauvres des remises d’impôt, et ouvrit aux proconsuls des crédits en faveur des familles indigentes ; Charlemagne multiplia les écoles et les dota généreusement ; saint Louis fonda les Quinze-Vingts et enrichit de ses dons l’hôtel de ville de Paris, qui les distribuait aux nécessiteux ; Charles V eut le premier l’idée d’une assistance judiciaire gratuite ; François Ier créa un bureau d’indigence avec des listes régulières, et lui donna le droit de lever une taxe d’aumône sur les habitans. Louis XIV, procédant ici comme partout avec sa grandeur habituelle, construisit et dota successivement l’hôpital des Incurables, l’hôpital des Convalescens, l’hôpital des Invalides, l’hôpital général de Paris, connu depuis sous le nom de la Salpétrière, et qui à lui seul pouvait renfermer jusqu’à six mille indigens. D’autres rois signalèrent leurs règnes par des fondations analogues, et, à vrai dire, il n’en est aucun qui ne se soit associé par quelques actes publics aux efforts et aux services de la charité privée.

La charité néanmoins, quelles que fussent la nature et l’étendue de ce concours, restait une œuvre indépendante, et dont le clergé conservait la direction. C’est dans les coffres de l’église que les fidèles déposaient leurs offrandes, c’est par ses mains que s’en opérait la distribution. Chaque paroisse avait ses pauvres, veillait à leurs besoins, en constatait l’urgence, et y pourvoyait en raison de ses ressources. L’évêque était le grand aumônier du diocèse ; ses diacres s’occupaient du détail et comptaient parmi leurs principales attributions celle de trésoriers de l’épargne charitable. Beaucoup de dotations, beaucoup de biens de main-morte n’eurent pas d’autre origine, et à l’époque des croisades, quand l’esprit religieux souffla