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Grèce, des distributions en argent, mais des distributions en nature. Tous les monumens de la jurisprudence prouvent à quel point l’abus en fut poussé. Sous l’influence du vieil esprit républicain, on garde encore quelque mesure. La part d’initiative du gouvernement semble se résumer dans une institution qui s’est transmise jusqu’à nous, avec les inconvéniens qui y sont inhérens, celle de l’annone, de qui relevait la subsistance de la ville. Rien de plus curieux que ce fait, et surtout que la persistance de l’annone à travers tant de siècles et des régimes si divers. Au début comme au déclin des civilisations, il s’est toujours trouvé des gens, et en grand nombre, décidés à ne point voir que l’instrument le plus sûr d’un approvisionnement est la liberté des transactions, et qu’en cette matière le cours naturel vaut mieux que les plus ingénieux artifices. De là ces précautions, ces entraves, même ces taxes qui, sous prétexte de rendre l’existence des populations plus certaine, ne font que la rendre plus précaire et plus onéreuse. Entre deux intérêts très simples et qui se répondent constamment, une offre et une demande, un vendeur et un acheteur, on a imaginé de placer un tiers, l’état ou la commune, qui tient du parasite et du maître, s’impose aux parties pour modifier les termes du contrat, quelquefois à son propre avantage et toujours au préjudice commun, substitue l’arbitraire au droit et la faveur à la concurrence, reste un embarras quand il n’est pas une charge, et ne présente aucune sorte de garantie ni pour l’abondance des denrées ni pour la modération des prix. De nos jours, ces expédiens se nomment ou des mercuriales ou des lois de maximum ; du temps des Romains, c’était l’annone.

Quoi qu’il en soit, l’annone, à son origine, n’avait d’autre objet que de prévenir ou de combattre les disettes. Dirigée tantôt par un préfet spécial, tantôt par des procurateurs, elle veillait à ce que le marché des grains fût bien approvisionné, et que la taxe y gardât des proportions raisonnables. Deux traits distinguent alors cette institution : elle est temporaire et n’aboutit pas à des distributions à titre gratuit. Il ne s’agit, quand elle est en vigueur, que de suppléer à l’insuffisance de l’activité commerciale, et d’envoyer des vaisseaux sur les lieux de production négligés par les marchands. Quant au prix, tantôt c’est le sénat qui le fixe, tantôt ce sont les tribuns ; deux influences toujours en lutte, celle des patriciens, celle des plébéiens. Dans le premier cas, la taxe se relève ; dans le second, elle descend aussi bas que possible. Malgré tout, le principe reste intact ; l’annone est une institution de circonstance, et ne fait point de largesses ; elle vend et ne donne pas. Pour en changer les conditions, il faut que les siècles s’écoulent et que les mœurs se relâchent. Avec les Gracques commencent les distributions gratuites. Sous Auguste,