Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du grand christianisme que je n’aurais garde de blâmer. Sans décourager les âmes religieuses de nos jours, il est bon de conserver dans toute sa hauteur l’idéal chrétien que les siècles passés se sont efforcés d’atteindre. Ces rapports du présent et du passé, les différences du protestantisme et du catholicisme, les destinées particulières des races, les affinités secrètes des peuples de sang latin et de religion romaine avec la philosophie du XVIIIe siècle, tous ces sujets, si hardiment mis en lumière, sont traités par M. Renan avec une richesse et une nouveauté d’aperçus qui déconcertent parfois le lecteur, mais qui le plus souvent provoquent et fécondent ses méditations. C’est en de telles occasions que triomphent la finesse, la sagacité, l’art supérieur du critique, comme on l’a vu tout récemment encore ici, dans l’excellente étude sur Lamennais. Les grandes figures religieuses, malgré le fanatisme qu’elles ont pu ressentir ou inspirer, font partie des plus glorieux titres du genre humain ; le devoir de la critique est de les considérer telles qu’elles furent. Une des meilleures pages que M. Renan ait écrites, c’est le chapitre sur Calvin ; il convenait d’apprécier si impartialement le réformateur de Genève au moment où des protestans timorés, croyant honorer leur chef, essaient d’adoucir cette âme sombre et lui enlèvent la terrible originalité de sa foi.

Bien loin de blâmer chez M. Ernest Renan ce sentiment si vif des grands caractères religieux du passé, je souhaite qu’il veille avec soin sur ce foyer d’inspirations. Le goût de l’aristocratie intellectuelle et morale, qu’on lui a reproché à tort, est une préparation indispensable aux travaux qui sont le but de sa vie. M. Renan a l’ambition de donner à la France une histoire de l’établissement de la religion chrétienne ; si l’érudition, le labeur opiniâtre, la sagacité pénétrante, la connaissance des langues sémitiques, l’étude des lettres sacrées et profanes, suffisaient pour une telle tâche, M. Ernest Renan serait armé de toutes pièces. Ce ne sont pas là cependant les seuls gages que son œuvre exige de lui : la sympathie et le respect n’y sont pas moins nécessaires que la critique, et, à défaut d’une foi positive, l’historien du christianisme doit être pénétré au moins de ce qu’il y a de plus délicat et de plus tendre dans le sentiment religieux. M. Renan comprend toute la grandeur de cette faculté divine qui rattache l’homme aux choses éternelles : qu’il développe en son âme ce sens de l’infini, le succès de son entreprise est à cette condition. Je lui conseille aussi de se défier de l’ironie ; c’est une arme qui blesse ceux qui s’en servent le mieux. Qu’il prenne garde surtout à la perpétuelle préoccupation de la finesse ; si les esprits violens et grossiers ne voient qu’un seul côté des choses, les intelligences subtiles, à force de chercher les nuances, courent le