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jettent un jour lumineux sur l’histoire religieuse ; mais, lorsque M. E. Renan veut trouver ces phénomènes de l’humanité primitive dans le peuple qui a vu et entendu Jésus-Christ, son argumentation est démentie à la fois par la philosophie et par l’histoire. Elle l’est d’abord par la philosophie. Quel est en effet le caractère de la spontanéité dans l’âme de l’homme ? C’est l’unité. Toutes nos facultés sont unies entre elles et s’exercent simultanément. Sensibilité, intelligence, volonté, toutes ces forces, qui se diviseront plus tard et suivront un développement inégal, sont en jeu à la fois, au même titre, au même degré, et sans se regarder elles-mêmes, comme dit M. Renan, sans avoir conscience de leur action, elles atteignent leur but dans un merveilleux élan. Ce qui est vrai de la spontanéité individuelle est vrai aussi, de la spontanéité des races. Pour que les phénomènes de la spontanéité (création de langues, créations religieuses, etc.) puissent se produire au sein d’une génération, il faut que cette génération soit une, qu’une même inspiration l’anime, que des tendances diverses, des aptitudes contraires, des divisions en un mot n’aient pas encore éclaté au sein de la simplicité première. Ce n’est là qu’une période bien fugitive dans les destinées du genre humain. Une période ? Non, un jour plutôt, une heure, une heure anté-historique, pourrait-on dire, et c’est pour cela que la formation des langues primitives, comme celle des premières religions humaines, est antérieure aux plus anciens renseignemens de l’histoire.

Quoi ! cet idéal de Jésus, ce sublime idéal de sainteté, serait sorti des rêves du genre humain dans un âge de réflexion et d’analyse ! Il se serait trouvé une foule d’hommes assez confondus dans un même sentiment pour concevoir cette beauté morale et en revêtir un personnage réel ! Où est-il ce peuple ? qu’il paraisse ! C’est lui-même qui est ici la merveille. Je ne dis pas seulement : Quel essor de l’âme, quelle sublimité d’aspirations religieuses chez ceux qui ont pu créer un pareil type ! Je dis surtout : Quelle unité de pensées ! quelle spontanéité d’impressions ! Cette condition primitive de l’homme, cet état antérieur à l’histoire, et que nous ne pouvions nous figurer que par nos conjectures, le voilà sous nos yeux. N’êtes-vous pas curieux d’étudier à votre aise ce grand phénomène historique ? Je m’approche, j’interroge ces hommes qui, dans les soixante premières années de notre ère, auraient formé spontanément ce type du Christ… Que vois-je ? « Le mélange le plus confus que l’histoire ait jamais laissé paraître, un chaos d’Hébreux, de Grecs, d’Égyptiens, de Romains, de grammairiens d’Alexandrie, de scribes de Jérusalem, d’esséniens, de sadducéens, de thérapeutes, d’adorateurs de Jéhovah, de Mithra, de Sérapis ! » C’est M. Quinet, ou plutôt c’est l’histoire elle-même qui peint ainsi le monde d’où est sorti le christianisme. L’éloquent écrivain ajoute : « Dirons-nous que cette vague multitude, oubliant