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qui sacrent les héros, légendes mystiques qui font les saints et les dieux. Toutes les religions, selon M. Renan, sont donc nées du cœur de l’homme. M. Renan emprunte cette idée à l’Allemagne ; toutefois, bien loin d’en faire un instrument de polémique comme M. Strauss, bien loin surtout de maudire, de bafouer, comme MM. Bruno Bauer et Feuerbach, cette illusion dont l’homme est dupe, et qui l’amène à s’incliner avec terreur devant ses propres pensées, il y voit au contraire le plus beau titre de noblesse du genre humain. C’est là le triomphe du spiritualisme. Captif dans les liens du fini, l’homme veut briser sa chaîne, il aspire vers l’idéal, il veut contempler l’infini, et pour cela il le réalise à sa manière, il lui donne une forme qui est la religion. Merveilleux essor de l’âme ! Les successeurs de M. Strauss nous disent : « Vous êtes dupes ; vous vous adorez vous-mêmes. Ces dieux devant qui s’est courbée l’humanité, c’était ce qu’il y avait de meilleur en elle, c’étaient ses plus belles pensées, ses conceptions les plus pures, auxquelles elle attribuait une existence distincte, qu’elle paraît d’une forme objective, et qu’elle appelait tour à tour Brahma, Bouddha, Jupiter, Jehovah, Jésus-Christ. Cessez de faire ainsi deux parts de votre être, reprenez votre bien, et sachez que vous êtes Dieu. L’humanisme, voilà la vraie religion : Homo homini Deus. » Tel est le langage des derniers disciples de l’exégèse allemande. La pensée de M. Renan est absolument le contraire de celle-là. Cet invincible effort par lequel le genre humain s’élève à la conception et au culte du parfait est à ses yeux « la meilleure preuve de l’esprit divin qui est en nous, et qui répond par ses aspirations à un idéal transcendant. » Cet idéal existe ; il existe si bien que nos pensées les plus hautes, les religions les plus parfaites et les plus pures, n’en sont que des symboles incomplets. On voit quel abîme existe entre M. Ernest Renan et les hommes qui, sous le nom d’humanisme, prétendent avoir atteint le dernier terme et trouvé la formule définitive de l’exégèse allemande. Il substitue à une critique violente, haineuse, une critique intelligente et sympathique. Il ne croit pas aux religions établies, mais il aime cette aspiration de l’âme qui fait que l’homme cherche et cherchera toujours à établir des religions. Il refuse de s’incliner devant le symbole, non pas certes parce que le symbole lui rappelle Dieu, et que Dieu pour lui, comme pour les jeunes hégéliens, n’est que le spectre de la conscience humaine, mais au contraire parce que ce symbole ne lui parle pas suffisamment de la majesté divine, parce qu’il l’abaisse et la défigure. On pourrait lui appliquer ce distique de Schiller que Louis Tieck appliquait à Novalis : « Quelle religion je professe ? Aucune de celles que tu me nommes. — Pourquoi aucune ? — Par religion. »

J’ai exposé, je crois, avec une scrupuleuse exactitude la pensée