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fortifiassent, ce qui était un cercle vicieux. Aussi les choses suivirent leur cours ; les ordres, devenus un cortège et une pompe, vécurent quelque temps encore à l’état de fantôme, pour s’abîmer à la première occasion de montrer leur puissance conservatrice. Il y a donc, selon nous, trop d’absolu dans l’interprétation qu’on donne ordinairement de la politique de Richelieu par rapport à la constitution intérieure de la France. Il renversa la haute aristocratie formée dans les guerres civiles, mais loin de vouloir atteindre l’aristocratie héréditaire en elle-même, il ne songe au contraire qu’à la perpétuer ; loin de tendre à égaliser les classes, cette égalité, qui avançait d’elle-même à grands pas, était pour lui un épouvantail, et il s’est servi à ce sujet des expressions les plus énergiques peut-être qu’il ait jamais employées. Malheureusement il y avait inconsistance et contradiction dans ses plans ; le goût de l’autorité sans contrôle avait égaré son génie. Il voulut l’aristocratie en lui refusant les conditions par lesquelles seules elle est. Il prit un appareil pour une force. Mais à quoi bon juger ces grands hommes ? A qui est-il donné de voir dans l’avenir au-delà de quelques années ? S’il avait vu trop loin, qui l’eût compris ? et ne serait-il pas tombé impuissant et méprisé devant ceux-là mêmes qu’il aurait voulu servir ?


LOUIS BINAUT.


Les Artistes français à l’étranger, par M. L. DUSSIEUX.[1].

S’il est un fait qui ressorte clairement de la situation actuelle des beaux-arts en Europe, c’est l’influence exercée sur toutes les écoles par les exemples de l’école française. L’exposition universelle fournissait à cet égard les témoignages les plus concluans, et nous n’avons pas à démontrer une vérité que les peintres anglais tout au plus auraient, en ce qui les concerne, le droit de contester ; mais ce fait, qui aujourd’hui n’échappe à personne, ne s’était-il pas déjà produit ? Est-ce la première fois que l’art de notre pays compte au-delà des frontières des disciples nombreux ? D’autres époques ont vu ce règne presque universel de l’école française ; seulement l’influence, si positive qu’elle fût, n’en restait pas moins dans l’esprit de tout le monde à l’état de vague symptôme, d’accident à peu près sans portée. Tandis que les souverains étrangers attiraient dans leurs capitales les artistes de la France, alors que partout les premiers peintres des rois, les architectes de leurs palais ou les directeurs d’établissemens d’art fondés à l’imitation des nôtres étaient des hommes nés sur notre sol, chaque école continuait naïvement à proclamer son indépendance. Bien plus : même chez nous on ne s’avisait guère d’estimer à son prix le crédit de nos artistes. Peu s’en fallait qu’on ne les crût les disciples de ceux qu’ils avaient mission de régenter. Au XVIIIe siècle, le marquis d’Argens signalait à propos cette anomalie entre l’opinion générale et des faits si propres à la démentir : « Tous les peintres attachés aux différens souverains sont français, dit-il dans ses Réflexions critiques. Silvestre est le premier peintre du roi de Pologne, Vanloo du roi d’Espagne, Pesne du roi de Prusse… » Par malheur, en voulant rétablir non-seulement dans le présent, mais aussi dans le passé les droits de ses compatriotes, le marquis

  1. Gide et Baudry, 1856.