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pouvoir rabaisser cette gloire de notre littérature, qu’appartient l’honneur de ravoir répandue dans le XVIIe siècle.

La bourgeoisie d’ailleurs n’avait point franchi le cercle de ces idées. L’avenir, il est vrai, lui appartenait, par le cours des choses : elle montrait même des sentimens plus sympathiques pour le peuple, car elle en sortait, elle y touchait ; mais ceux de ses membres qui avaient réussi, par des voies diverses, à monter jusqu’au sommet de leur ordre ne demandaient pas mieux que d’en sortir, de se laver de la roture, de changer leur nom, de se séparer de la souche commune. Adversaires de la noblesse, ils achetaient les anoblissemens, et les achetaient cher. L’exemption de la taille ne leur déplaisait pas, et ils en reversaient volontiers la charge sur la masse populaire dont ils s’étaient détachés. Ils s’anoblissaient par les fonctions, par le commerce même en certains cas, par les actions prises dans les compagnies de colonisation. La vie municipale, la vie industrielle trouvaient moyen de s’organiser en petites aristocraties ; les corporations de métiers avec leurs maîtrises appartenaient au même esprit de classification et de monopole ; tous tendaient à accaparer par l’exclusion et à immobiliser par l’hérédité les avantages sociaux. Si donc on veut chercher le mauvais côté des choses humaines, on trouvera des faiblesses, des erreurs et des manifestations d’égoïsme dans toutes les classes, et aucune d’elles n’a le droit de condamner absolument les autres ; mais, si l’on veut être juste, on trouvera que partout aussi un sentiment d’ordre et d’unité se faisait jour, affaiblissait les résistances, et réunissait les vœux publics autour de la royauté conciliatrice. Chacun défendait ses positions et ses traditions sans doute, mais cette défense molle, intimidée par le souvenir des guerres civiles, neutralisée par quelque pressentiment d’un nouvel ordre de choses, laissait néanmoins tomber en oubli les états-généraux et réduire à peu de chose les privilèges des provinces. L’opinion naissante n’avait point de formule ; elle s’attachait à un fait, qui était la royauté. Elle en faisait un symbole ; c’était déjà en faire une idée : ainsi procède l’esprit humain. Personne dès-lors ne croyait s’avilir en s’abaissant devant cette idée ou cet idéal de la monarchie absolue. N’était-ce pas cependant une dangereuse erreur ? Cette soumission, fière encore à son origine, ne devait-elle pas dans un temps donné altérer les caractères ? Un demi-siècle a suffi pour répondre à cette question, et pour dissiper l’idéal qu’on avait cru saisir et fixer dans l’éclat d’une majesté, émule de la majesté divine.

Richelieu fut un grand esprit pratique soutenu, par une volonté de fer ; il comprit la décadence de ce qui l’avait précédé et l’acheva ; il comprit la puissance nouvelle de la monarchie, et s’en servit ; il comprit l’opinion, qui, dès le siècle précédent, avait agi, combattu et quelquefois vaincu par les lettres, et il chercha à la discipliner, à la ranger autour du trône. Seulement il crut, ce que tout le monde croyait et ce que les puissans croient dans tous les temps, qu’il pouvait rendre définitif ce qui existait, et arrêter le mouvement des choses au point qui lui paraissait bon. Il crut que les ordres de l’état, soigneusement distingués et échelonnés sous la monarchie, pouvaient la soutenir sans avoir eux-mêmes une certaine indépendance, sans avoir aucun droit de résistance, et par une force empruntée à ce qu’on voulait qu’ils