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on imaginait de vains remèdes pour arrêter le mal. Toutes ces mêmes choses ont été répétées de nos jours, jusque dans nos assemblées législatives, avec le même effroi du déclassement universel et la même inutilité.

Si Richelieu veut retenir ainsi l’élan de la bourgeoisie, à plus forte raison rivera-t-il à leur travail les classes inférieures. « Tous les politiques sont d’accord, dit-il, que si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir. » M. Caillet, un peu entraîné ici par cette partialité dont on se préserve difficilement en traitant un grand sujet, voudrait adoucir en les interprétant la rigueur de ces paroles. Il combat M. Floquet, qui les avait comprises dans le sens qu’elles présentent d’abord ; il prétend que Richelieu a voulu dire simplement que l’on ne pouvait exempter le peuple de tout impôt. C’est en effet ce que le cardinal ajoute un peu plus loin ; mais cela ne change rien, ce nous semble, cela confirme au contraire l’esprit tyrannique et inhumain de la maxime. Qu’y peut-on voir en effet, si ce n’est que l’impôt n’a pas pour unique objet de subvenir aux besoins de l’état, mais encore d’empêcher le peuple d’être trop à son aise ? C’est l’impôt pour l’impôt, ou plutôt c’est l’impôt pour détruire l’émulation, décourager le travail, et circonscrire chacun dans la limite fatale tracée par le hasard de la naissance. Le progrès leur semblait l’insurrection ; le peuple était, croyaient-ils, trop ignorant pour ne pas abuser de la prospérité, comme si cette prospérité même n’amenait pas l’instruction. « Ayant moins de connaissances, dit Richelieu, que les autres ordres de l’état, beaucoup plus cultivés et plus instruits, s’ils n’étaient retenus par quelque nécessité, difficilement demeureraient-ils dans les règles qui leur sont prescrites par la raison et les lois. » L’impôt est la marque de leur sujétion ; s’ils étaient libres de tributs, « ils penseraient l’être de l’obéissance. » Il les compare aux mulets qui, « étant accoutumés à la charge, se gâtent par un long repos plus que par le travail ; » mais par la même raison il veut que les charges soient modérées, comme « celle de ces animaux doit être proportionnée à leur force. » Il n’y avait d’ailleurs dans ces idées de Richelieu rien de bien extraordinaire pour le temps. Ceux qu’on appelait alors les politiques ne considéraient que l’état, c’est-à-dire la conservation d’un ordre de choses jugé bon par cela seul qu’il était. Sous Louis XIV, la notion de l’état se confond dans la personne du roi ; le but n’en est que plus étroit. De même que Richelieu rapporte tout à l’état dans son Testament politique, Louis XIV, dans ses Mémoires, rapporte tout à lui-même ; il est le commencement et la fin de toutes choses. Il en résulte je ne sais quelle impression triste et irritante ; il faut lire à la suite ce Testament et ces Mémoires pour recevoir par une sorte d’intuition directe l’idée et le sentiment du pouvoir absolu. L’idée que le gouvernement est pour le peuple, que l’état n’est que la forme de la nation, et que la politique est dominée par la morale, cette idée, exposée par Aristote et née dans les républiques, n’a jamais été perdue sans doute, car elle est le fond du christianisme ; mais elle a presque toujours paru une illusion aux praticiens de la politique. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle qu’elle a sérieusement commencé à frapper aux portes des palais, par réaction contre les funestes résultats, devenus trop évidens, du principe contraire ; c’est à Fénelon, quoi qu’en aient dit ceux qui ont cru