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la prière de la noblesse elle-même, conçut le dessein de lui faire une place régulière et privilégiée dans l’état, autant qu’une telle institution aurait pu se concilier avec la prépondérance absolue de la royauté. Cela pouvait être illusoire et impossible, mais c’est sa pensée écrite par lui-même. Il considère comme le plus grand des abus la fusion des classes, qui menaçait de s’opérer par l’élévation progressive du tiers-état. Il estime qu’il y a entre l’une et l’autre une différence de valeur intrinsèque qui doit avoir son expression dans la constitution de la monarchie. Les nobles étaient, selon lui, par l’effet seul de leur naissance, plus propres aux hautes fonctions. Pour avoir un évêque à souhait, dit-il, il faut, outre les autres qualités, la naissance, parce que « l’autorité requise en de telles charges ne se trouve que dans les personnes de qualité. » Les bonnes mœurs avec la naissance suffisent à la rigueur, selon lui, et la noblesse peut suppléer à la science. Il s’indigne de voir la bourgeoisie monter au niveau de la classe dominante par l’influence des richesses acquises et de l’autorité attachée aux fonctions judiciaires et administratives. « Ils sont, dit-il, présomptueux jusqu’à tel point que de vouloir avoir le premier lieu où ils ne peuvent prendre que le troisième, ce qui est tellement contre la raison et contre le bien de votre service, qu’il est absolument nécessaire d’arrêter le cours de telles entreprises, puisque autrement la France ne serait plus ce qu’elle a été et ce qu’elle doit être, mais seulement un corps monstrueux, qui, comme tel, ne pourrait avoir de subsistance ou de durée. » C’est donc un système arrêté chez le grand cardinal ; la séparation des classes, leur inégalité, leurs privilèges, sont à ses yeux des choses fondamentales et nécessaires. Aussi essaya-t-il plus d’un moyen pour rétablir les fortunes ruinées de la noblesse, pour lui en ouvrir de nouvelles sources par le grand commerce, qu’elle fut autorisée à faire sans déroger et sans perdre ses privilèges, par des parts réservées dans les entreprises coloniales, par l’admission exclusive à certaines fonctions et aux grades de l’armée.

Quant aux bourgeois, il voudrait les resserrer dans leur sphère ; il craint de-la bourgeoisie ce que de nos jours les bourgeois, avec aussi peu de raison, craignent du peuple, le déclassement, même par l’instruction. « Considérant, dit-il dans le règlement de 1625 pour toutes les affaires du royaume, que la grande quantité des collèges qui sont en notre royaume fait que, les plus pauvres faisant étudier leurs enfans, il se trouve peu de gens qui se mettent au trafic et à la guerre, qui est ce qui entretient les états,… nous voulons qu’il n’y ait plus de collèges, si ce n’est dans les villes ci-après dénommées, » et il nomme douze villes, qui auront chacune deux collèges, un de jésuites et un de séculiers ; Paris seul en aura quatre, trois de séculiers et un de jésuites. C’était aussi par le même motif qu’il conservait la vénalité des charges, dont la suppression, selon lui, en rendant les offices accessibles à tous, « augmenterait démesurément la manie des charges, la vanité détournant une foule de gens du commerce, source de l’aisance publique, pour les rejeter sur des professions stériles, déjà si encombrées. » On voit encore par ces indications combien la fureur des places est ancienne, combien on en exagérait de tout temps les inconvéniens, en ayant l’air de craindre que le commerce et l’industrie ne fussent abandonnés pour les fonctions publiques, combien enfin