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ne peuvent que compromettre. Nulle part cela n’est plus visible peut-être qu’en Savoie. Chose étrange, on a vu mourir récemment à Annecy un écrivain français, M. Eugène Sue, qui s’était employé depuis nombre d’années à répandre, par des romans dénués de valeur littéraire, la contagion du socialisme. M. Eugène Sue a été publiquement l’objet de grands honneurs après sa mort, et ce qui est plus bizarre, c’est que le journal du gouvernement piémontais lui-même s’est associé à ces hommages, à ces apothéoses. Si c’était un fait isolé, il serait déjà grave ; par malheur, on pourrait dire qu’il éclaire la situation de ce petit pays. L’administration n’exerçant pas une action vigilante et ferme, il en résulte qu’en Savoie les opinions modérées, sagement libérales, n’existent pas ou sont dépourvues de toute force, et la lutte est engagée entre les partis extrêmes. Les classes moyennes se laissent gagner par les opinions les plus radicales. Ceux qui se disent libéraux sont aujourd’hui simplement socialistes. Voilà un camp, et dans le camp opposé sont les évêques, dont l’influence s’étend sur des populations rurales de croyances plus aveugles qu’éclairées. Il n’en serait point ainsi s’il y avait plus d’accord entre le gouvernement et les évêques, qu’on pourrait disposer plus facilement qu’on ne croît à seconder une politique modérée. Ce serait du moins leur intérêt ou plutôt l’intérêt de la religion, qu’ils veulent défendre contre l’envahissement des idées subversives. On comprend dès-lors l’opposition faite par une certaine fraction du parti conservateur au cabinet de Turin, opposition dirigée au surplus moins contre M. de Cavour que contre le ministre de l’intérieur, M. Rattazzi ; Aujourd’hui le roi Victor-Emmanuel est en Savoie, où il est allé inaugurer les travaux du percement du mont Cenis ; il est accompagné de M. de Cavour. Le souverain piémontais et le président du conseil ont sous les yeux ce petit pays, qui a été le berceau de la maison de Savoie : c’est à eux de voir ce qu’ils doivent faire pour le bien de cette contrée, qui plie sous de lourds impôts et qui souffre d’un mal bien plus terrible encore, de invasion de toutes les doctrines dissolvantes.

Si l’on tournait son regard vers d’autres régions plus lointaines, on verrait dans le Nouveau-Monde bien des pays se remuer, s’agiter et se débattre dans toute sorte de crises qui renaissent les unes des autres. Depuis que Walker a quitté le Nicaragua, obligé de s’enfuir aux États-Unis, l’Amérique centrale travaille péniblement à se relever de cette aventure de deux ans, et il n’est pas certain que les divisions de ces malheureux petits états centro-américains ne finissent par éclater de nouveau, pour aboutir à quelque guerre civile nouvelle qui faciliterait peut-être encore le retour du chef des flibustiers. Entre la Nouvelle-Grenade et les États-Unis, il y a une querelle diplomatique qui ne s’arrange pas, et qui pourrait avoir les plus sérieuses conséquences, si les Américains du Nord réalisaient leur pensée en tentant quelque entreprise sur l’isthme de Panama. Le Mexique est toujours un des plus éprouvés de tous ces pays. Intérieurement, il est livré à une décomposition anarchique devenue en quelque sorte un état normal ; extérieurement, après avoir été menacé d’une rupture avec l’Angleterre, il est en scission ouverte avec l’Espagne, et cette scission peut devenir une guerre. Au premier abord, on pourrait dire qu’il vient de s’accomplir un événement propre à remettre un peu de régularité dans la vie du Mexique : des élections viennent d’avoir lieu pour nommer un président. M. Comonfort ; qui jusqu’ici n’a exercé le pouvoir que