Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Deux-- de traiter avec humanité les passagers du Cagliari ; le cabinet de Naples a répondu avec trop peu de mesure, les rapports se sont aigris, et une rupture aurait pu être le dénoûment de cette querelle, si l’esprit de conciliation n’était intervenu à propos. Certainement il n’y a point à s’étonner que la politique du Piémont, par son caractère libéral, excite parfois les susceptibilités des autres états de la péninsule, où règnent des influences différentes. L’an dernier le cabinet de Turin avait quelques difficultés avec la Toscane, hier c’était avec Naples. L’essentiel est que le Piémont pratique loyalement, sincèrement sa politique, éclairant par son expérience tous les peuples italiens, évitant de donner des griefs légitimes aux gouvernemens. Sur ce terrain, il sera invincible, et son influence sur le reste de l’Italie sera d’autant plus puissante qu’on le verra sur son propre sol plus maître de lui-même, plus décidé à ne point laisser son libéralisme dégénérer en agitation révolutionnaire. D’ici à peu de temps, une épreuve tout intérieure va s’offrir au Piémont. Des élections vont avoir lieu pour le renouvellement de la chambre des députés. On ne peut savoir encore quels seront les résultats de ce mouvement électoral, bien qu’il soit facile de pressentir que l’opinion du pays ne fera pas défaut au ministère. Le cabinet actuel, tel qu’il existe, personnifié dans son chef, M. de Cavour, ce cabinet ne rencontre dans l’opinion aucune hostilité, et il a même cet avantage de n’avoir pas en ce moment de rivaux très sérieux pour lui disputer le pouvoir. À quoi tient cet ascendant du ministère ? Il tient principalement à la politique extérieure suivie par le Piémont. M. de Cavour a su donner à son pays une place inespérée dans les conseils de l’Europe. Il a mêlé le Piémont aux grandes affaires, et n’a négligé aucune occasion de le faire figurer auprès des grandes puissances, payant bravement de sa personne, et acquérant ainsi le droit d’être entendu. Dans les circonstances souvent délicates où il s’est trouvé placé, M. de Cavour a montré une habileté singulière, une habileté qui sait être, à la fois ou alternativement, hardie et modérée. Par là le Piémont s’est fortifié diplomatiquement, et il a pu même soutenir avec avantage une querelle directe avec l’Autriche, comme on l’a vu l’an dernier. On peut croire qu’il ne lui a nullement déplu de se trouver une fois encore, récemment, en face de l’Autriche à Constantinople. Cette politique ferme et déliée a réussi, et elle a fait une place à part à M. de Cavour ; mais pour que cette politique extérieure reste autre chose qu’une tentative brillante, pour qu’elle ait une efficacité durable, ne faut-il pas qu’elle ait pour premier appui une politique intérieure également ferme, active et mesurée ?

Certes le gouvernement piémontais n’est nullement disposé à s’allier avec les partis révolutionnaires, il les combat quand ils se montrent, comme il l’a fait à Gênes ; il décline ouvertement toute solidarité avec eux. Malheureusement il manque peut-être à la politique intérieure du Piémont un peu de cette fermeté d’impulsion qui a fait le succès de sa politique extérieure, et si un certain esprit de désordre n’arrive point à être un danger actuel pour le gouvernement, il ne se propage pas moins dans le pays faute d’une administration active et vigoureuse. Les dissentimens prolongés du Piémont avec le saint-siège et avec l’église ne contribuent pas peu à fausser cette situation, en divisant des forces qui devraient rester unies, en faisant des passions irréligieuses les auxiliaires intéressés d’une politique qu’elles