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que dans certaines régions les passions, les vices, les instincts cupides s’agitent, ces modestes héros maintiennent sans y songer l’imprescriptible autorité du bien. Toute leur vie est vouée à l’obscurité et à la misère, ils n’ont qu’un jour de gloire, celui où leur nom est prononcé par hasard à l’Académie ; encore cette gloire leur est-elle indifférente souvent, et c’est une marque de la sincérité de leur vertu. M. Vitet a raconté rapidement les bonnes et simples actions, comme M. Villemain s’est plu à jeter les lumières de son esprit sur les œuvres d’érudition ou de littérature qu’il avait à couronner en les jugeant.

La science et l’érudition sont de tous les temps aussi bien que l’esprit et l’imagination. Ne semble-t-il pas cependant que, par une sorte de secrète harmonie, certains genres de littérature soient mieux appropriés à certaines saisons ? Admettons, si l’on veut, que ce mystérieux rapport existe entre certaines productions de l’esprit et le cours des saisons : la poésie naîtra avec le printemps, avec les feuilles et la lumière, dans ce renouveau universel avec l’automne viendra le roman, œuvre d’expérience et d’observation, racontant la vie humaine, où les déceptions s’accumulent comme les feuilles qui tombent. L’été sera la saison des voyages, la saison favorable aux récits des longues courses. C’est à qui racontera une excursion dans l’Oberland ou au lac de Côme, sur les bords du Rhin ou en Bohême, dans ces contrées autrefois poétiques et devenues désormais le lieu de passage banal des sociétés nomades de l’Europe. Seulement, pour être un voyageur sérieux et admis à raconter ses impressions, il faudra bientôt s’être hasardé jusqu’aux extrémités de l’Orient, ou tout au moins avoir franchi l’Océan. M. Eugène Fromentin n’a franchi que la Méditerranée ; il est allé au désert, en Afrique, et il en a rapporté, sous la forme d’impressions familières, un livre coloré et saisissant, le livre d’un peintre et d’un écrivain, un Été dans le Sahara. C’est un livre dangereux, car il donne la tentation d’aller au désert, et il expose sans doute à des désillusions cruelles, si on n’a la bonne volonté et le regard pénétrant de l’auteur. Le récit de M. Eugène Fromentin résout une fois de plus un problème familier à tous ceux qui voyagent avec intelligence, uniquement pour lire dans le grand livre de la nature universelle : c’est qu’on ne voit pas indistinctement tous les pays dans tous les momens. Il faut visiter les pays du Midi, l’Andalousie en Espagne, le Sahara en Afrique, sous le rayon d’un soleil d’été : alors et seulement alors on voit cette nature dans sa vérité, dans son relief ; on en saisit pour ainsi dire l’être intime et indéfinissable, de même que dans la brume, à travers la bise, on saisit mieux le caractère et la poésie intime du Nord.

Un jour donc M. Fromentin est parti de Medeah, et il s’est avancé dans le désert. Son voyage est dénué d’aventures : il a simplement visité El-Aghouat et deux petites villes perdues, Aïn-Mahdy et Tadjemout ; puis il a vécu de la vie nomade, observant tout autour de lui. Son livre a un mérite : outre qu’il est sans prétentions, il rend le désert saisissable ; il peint ces horizons fuyans, ces teintes infinies et merveilleuses produites par une lumière incomparable, et cette chose sacrée, le silence, non pas le mutisme, ni un silence lourd, épais, mais ce silence léger, transparent et doux, qui est un des charmes du désert. Et en peignant les lieux avec une évidente vérité, l’auteur peint aussi les hommes, ces Arabes qui ressemblent à des princes