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de la société ? L’Académie française particulièrement ne crée pas le talent et la vertu, sans doute ; elle les constate, elle les appelle et les encourage. Tous les ans, elle ouvre une sorte d’enquête dont le résultat est de montrer la société sous un double aspect, en assurant des récompenses aux bons livres et aux bonnes actions, à l’intelligence et à la vertu pratique. C’est là l’intérêt de la dernière séance de l’Académie française, qui a suivi de près la réunion solennelle de toutes les classes de l’Institut, car malgré la saison les fêtes académiques se sont succédé à peu d’intervalle, au grand déplaisir de M. Viennet, qui voudrait renvoyer ces solennités ingénieuses au mois de décembre, à la saison de la neige et du beau monde. Comme toujours, M. Villemain a été le rapporteur du concours littéraire, et comme toujours il a parcouru cette carrière d’un pas sûr, semant autour de lui les traits brillans et les jugemens fins. C’est à M. Vitet qu’est échue cette année la mission de raconter les actes de vertu qui ont mérité les prix institués par M. de Montyon il y a maintenant soixante-quinze ans, lorsqu’on croyait encore qu’avec la promesse d’une récompense honnête on faisait fleurir la vertu. Malheureusement on ne peut dire que le dernier concours littéraire soit une réponse victorieuse à ceux qui observent et qui signalent avec tristesse les défaillances de l’esprit littéraire. Il est sans doute encore des œuvres de mérite qui ont été couronnées, et de ce nombre est le travail aussi consciencieux que neuf de M. Poirson, l’Histoire du règne de Henri IV, qui a recueilli l’héritage de M. Augustin Thierry. D’autres livres encore ont eu leurs récompenses ; mais la fleur du concours est restée absente, la poésie est demeurée muette. L’Académie avait proposé cependant le plus vaste et le plus brillant sujet, la Guerre d’Orient. Cent cinquante poèmes ont été envoyés, deux seulement ont paru contenir quelques promesses, et aucun n’a été couronné. Tout est là pour le moment : abondance des vers et faiblesse de l’inspiration poétique. Quant aux ouvrages distingués et récompensés pour leur utilité morale pratique, il y a longtemps que l’Académie a pris toute liberté à ce sujet ; elle mêle la prose et les vers, l’histoire et les voyages, la critique et la philosophie, et il est certainement plus d’un livre à qui l’on pourrait demander, indépendamment de toute valeur littéraire, quel rapport il a avec l’amélioration des mœurs. Le concours des prix de vertu, dont M. Vitet s’est fait à son tour le simple, ingénieux et émouvant rapporteur, ce concours né d’une pensée moins vraie au fond que généreuse, a du moins le mérite de montrer un instant la société dans ce qu’elle a de plus obscur et de plus pratique. Telle est l’étrange complexité du monde où nous vivons, qu’on peut avoir sous les yeux presque simultanément les spectacles les plus divers, ceux qui troublent et ceux qui rassurent. Vous croyez bien connaître votre temps et pouvoir le juger parce que vous aurez vu l’instinct des jouissances matérielles se déployer, la spéculation marcher audacieusement vers son but ; tournez un feuillet du livre de la vie contemporaine, vous trouverez les vertus patientes, les dévouemens inépuisables, les mâles et stoïques abnégations : vous verrez ce petit mousse, Perret, sentinelle perdue sur un navire délaissé, gardien volontaire d’un pauvre malade abandonné, petit héros sans le savoir, qui sauve son navire, son malade, et se sauve lui-même avec de la bonne volonté et l’aide de Dieu. Ces bonnes actions sont pour ainsi dire le sel de la société ; c’est ce qui l’empêche de se corrompre, et tandis