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à ce degré de réelle et sérieuse indépendance qui est le rêve de toutes les politiques. La crise qui vient de se dérouler en quelques jours est plus décisive qu’elle ne pourrait le paraître. Il dépend du gouvernement turc d’en atténuer la portée, de même qu’il peut aussi l’aggraver en montrant de plus en plus ses incurables faiblesses. Lorsque l’Europe, dans une pensée de préservation, a résolu d’admettre l’empire ottoman dans la famille des états diplomatiquement reconnus, elle ne l’a pas admis pour ce qu’il est, puisqu’il n’est souvent qu’une cause de divisions et de conflits après avoir été un danger pour l’Occident ; elle a voulu l’admettre dans son sein comme un empire décidé à entrer dans une voie de régénération et à s’assimiler les principes de la civilisation européenne. On parle souvent de l’indépendance de la Turquie ; c’est dans ces conditions que cette indépendance doit devenir une vérité. C’est ainsi que l’empire ottoman peut éviter de tomber dans ces tristes extrémités où on le voit subissant un conseil impérieux, se servant d’une influence contre une autre influence, et donnant le spectacle d’une impuissante versatilité, qui tourne à sa propre humiliation en devenant un sujet d’épreuve pour les plus utiles alliances. Cette crise est finie maintenant, puisque les relations viennent d’être régulièrement renouées à Constantinople il y a deux jours ; mais on voit à combien peu la paix aurait tenu peut-être si l’entrevue d’Osborne n’avait eu de prompts effets.

L’Angleterre du reste a de bien autres préoccupations et de bien autres soucis en ce moment ; elle a les Indes soulevées et toutes les défections des troupes natives tournant subitement leurs armes contre la puissance britannique. On a pu croire au premier instant à une mutinerie de soldats. La sécurité était d’autant plus grande en Angleterre que l’an dernier encore un des anciens gouverneurs de l’Inde, lord Dalhousie, publiait une peinture des plus séduisantes du bien-être assuré aux populations hindoues par la domination anglaise. Le réveil a été foudroyant. Une mutinerie de soldats est devenue une vaste et sanglante conflagration, telle qu’on en est encore à mesurer l’étendue et les conséquences possibles de ces événemens nouveaux. Quoi qu’il en soit, pour le moment, il est un fait certain, c’est que les insurrections se propagent de tous côtés dans les provinces du nord-ouest de l’Inde ; les corps de troupes indigènes se révoltent successivement, et les massacres par lesquels les insurgés ont commencé leur entreprise se poursuivent avec un acharnement terrible. Quant à l’étendue de cette insurrection, il suffit, pour s’en faire une idée, de voir qu’elle embrasse les points les plus lointains, certaines contrées du Pundjab, Gwalior, Hyderabad. Dans l’ancien royaume d’Oude, la défection des troupes indigènes a été universelle ; aux environs d’Agra, il en est de même. Jusqu’ici, le point le plus saillant sur ce vaste théâtre d’une lutte si terriblement inégale a été la ville de Dehli, où l’insurrection a pris naissance et semble avoir son principal foyer. Les Anglais ont mis tout d’abord le siège devant Dehli, et ils y sont encore ; seulement on en est à se demander s’ils sont véritablement les assiégeans ou s’ils ne sont pas eux-mêmes assiégés dans leurs positions. Les Anglais en effet, par suite d’une dissémination nécessaire de leurs forces, sont réduits à deux mille hommes devant une ville défendue par des troupes nombreuses, habitée par une population considérable et ouverte