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indien et les insurrections formidables qui ont éclaté parmi les troupes indigènes. L’une de ces deux affaires est exclusivement anglaise, bien qu’elle ne soit qu’un épisode du travail de la civilisation dans le monde ; l’autre a un caractère diplomatique, européen, et, par une circonstance singulière due à la rapidité des communications, cette crise de Constantinople a pu se dénouer avant qu’om connût dans l’Occident tous les détails des péripéties qui avaient précédé la rupture de quatre puissances avec la Sublime Porte.

Jamais assurément conflit diplomatique ne s’est présenté dans des conditions plus délicates et plus menaçantes, car toutes les politiques semblaient compromises, et la rupture était accomplie. Comment cette complication a-t-elle disparu tout à coup ? On le sait déjà, par l’entrevue de l’empereur et de la reine Victoria à Osborne, par le simple et naturel rapprochement de la France et de l’Angleterre, rapprochement bien plus facile entre les deux gouvernemens qu’il ne pouvait l’être entre les représentans diplomatiques, lorsqu’un de ces représentans se nomme lord Stratford de Redcliffe. Le gouvernement anglais, quant à lui, n’avait rien à désavouer ; il n’avait qu’à se montrer mieux informé, au risque de laisser son ambassadeur seul compromis dans la plus triste aventure, et c’est ce qu’il n’a point hésité à faire en reconnaissant la nécessité de demander lui-même ce que la France avait réclamé, l’annulation pure et simple de ces élections violentes faites en Moldavie. Ce point admis entre les deux gouvernemens, l’évolution de l’Angleterre entraînait ou supposait celle de l’Autriche, et on ne pouvait douter de l’acquiescement définitif de la Turquie à une résolution devenue unanime. Telle a été en effet la marche de cette singulière question, qui a déjà traversé tant de phases diverses. Le résultat naturel de cette situation nouvelle a été que la Turquie, cessant de se retrancher dans ses résistances premières, a dû consentir désormais à tout ce qu’on lui avait demandé d’abord. Les élections moldave ont été annulées ; les listes électorales seront rectifiées (conformément aux décisions de la commission européenne de Bucharest, et quinze jours après un nouveau scrutin devra s’ouvrir en Moldavie. Dans les explications que lord Palmerston et lord Clarendon ont données au parlement, et qui ont été on ne peut plus nettes, il n’y aurait visiblement qu’un point à rectifier. Le chef du ministère anglais a dit que la Turquie avait résisté uniquement parce que l’annulation des élections moldaves ne lui était demandée que par quatre des gouvernemens alliés ; il aurait pu ajouter que la gravité de cette crise naissait justement de ce que la résistance était conseillée au cabinet ottoman par les représentans des deux autres puissances, de telle sorte que le sultan, qui aurait eu des scrupules pour se rendre aux réclamations d’une majorité, obéissait effectivement à une minorité, ou plutôt à un seul homme, à lord Stratford de Redcliffe, qui allait jusqu’à prendre sur lui la responsabilité d’une rupture de toutes les relations en jetant la Turquie dans une voie sans issue.

Ce serait du reste une erreur de croire que, même après l’entrevue d’Osborne et en présence des instructions nouvelles de son gouvernement, lord Stratford se soit facilement résigné à changer de route. Ne pouvant empêcher un dénouement inévitable, il s’est appliqué du moins à le retarder. Ce n’est pas tout, en effet, pour le gouvernement anglais d’avoir une politique