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aujourd’hui les armes que le lion suédois a consacrées en les portant à Narva.

« Nous voulons mettre les gantelets du roi Charles XII, et cela dans une double intention, comme roi et comme homme. Nous voulons ceindre la grande épée du héros, et, comme lui, étonner le monde, composé de cœurs faibles et endormis.

« Vous, comte Piper, vous nous ganterez d’un des gantelets ; vous, Lagerbring, vous nous ganterez de l’autre. Pour vous, feld-maréchal, votre âge et votre renom vous rendent digne d’attacher à notre côté l’épée victorieuse du grand roi. »

« Et le roi Gustave IV Adolphe, avec la majesté d’un dieu, s’offrit bientôt à tous les regards avec les armes de Charles XII. Il se sentait trop grand pour parler à cette heure ; il se tut, et fit le tour de la salle à pas de géant.

« Et quand il l’eut achevé, ce fut encore un beau spectacle de le voir se dépouiller des gantelets et de l’épée, que reprit tour à tour chacun des trois seigneurs. Il les regarda d’un air qui n’entendait pas raillerie, et daigna de nouveau rompre le silence par ces mots :

« Maintenant, Lagerbring, vous aurez soin de faire savoir à l’armée de Finlande que, dans notre gracieuse sollicitude pour elle, nous avons ceint les armes du grand Charles XII. Feld-maréchal, et vous, comte Piper, je vous appelle tous deux comme témoins de ce qui s’est fait ici dans cette grande journée. »

« Si cette fière action influa sur la guerre de Finlande, l’histoire ne le sait pas précisément ; mais il est sûr que Gustave étonna en ce jour non pas le monde, mais Toll, Piper et Lagerbring. »


Si maintenant le lecteur veut bien se rappeler le petit poème sur le général Dœbeln, un des plus intéressans qu’ait écrits Runeberg[1], il peut juger notre poète finlandais. Les poésies de Runeberg témoignent, on a pu s’en assurer, de qualités d’esprit exquises et rares, d’une admiration chaleureuse pour ce qui est grand et généreux, d’une habileté singulière à concentrer l’énergie de la passion sous une expression contenue, d’une science réelle à composer ces petits drames et à ménager pas à pas le succès de l’impression dernière. On y reconnaît un vif sentiment de la grande et particulière beauté de cette nature du Nord, avec ses forêts et ses lacs, avec ses longues nuits étoilées et ses étés sans ténèbres : Runeberg sait les peindre, à la manière antique, par quelques mots bien choisis qui font image. On y reconnaît aussi un véritable génie poétique dont l’énergie est naïve et le charme sérieux et simple. Parmi les peuples qui parlent ou comprennent facilement sa langue, une popularité complète n’a pas manqué à Runeberg. En France non plus (c’est du moins encouragé par cet espoir que nous avons traduit les Récits de l’Enseigne), un sympathique accueil ne lui manquera pas.


A. GEFFROY.

  1. Nous l’avons donné dans la Revue du 1er septembre 1854.