Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Staël sourit avec dédain. « Tu as raison, répondit-il, et tu fais sagement. Tu pourrais être blessé, ce qui ne t’est pas arrivé encore. Va, j’irai seul en avant. Avec ta médaille sur la poitrine, tu es trop bon pour te battre. »

« Il dit, tire son sabre, et avance avec un hautain mépris. Pas un regard en arrière. Que lui importe l’avis de son camarade ? Qu’il le suive ou non, il ne s’en inquiète pas.

« Ce qu’il veut, c’est combattre. Il va droit au but. Le front sanglant d’un des fils de la steppe montre déjà la force de son bras. Les cris de mort et de vengeance, les coups de feu retentissent ; mais, au milieu de la mêlée qu’il domine de sa haute taille, le dragon paraît encore.

« Cependant la fortune change, la victoire l’abandonne. Cheval et cavalier sont renversés ensemble. Vainement, dans la poussière, le vaincu lutte d’un bras vigoureux ; quatre pointes s’abaissent vers sa poitrine.

« C’est la mort menaçante, terrible. Une seconde, et tout est fini… Mais non, espère encore ; Lod n’est-il pas là ? Il paraît, les ennemis s’écartent, le vaincu est oublié, et le combat recommence.

« Un des quatre est renversé. Voyez : à son tour, Lod aussi est blessé. Les momens sont précieux ; son sang coule à flots, la force l’abandonne. L’espoir du succès fuit-il encore ? Non. Staël s’est relevé, et le voilà derechef au combat.

« — Ils furent promptement vainqueurs, dit la renommée. — Et la renommée ajoute que le soir même on vit Lod entrer dans la tente de Sandels. Il tenait tranquillement sa médaille à la main : « Mon général, dit-il, donnez une médaille à mon camarade, ou bien reprenez la mienne. »


LE GUERRIER MOURANT.

« La sanglante journée était finie, et sur les bords du Lemo le silence n’était plus troublé même par le dernier souffle des mourans. Les ténèbres enveloppaient la terre et les eaux. La nuit était paisible comme la tombe.

« Sur le rivage où la vague sombre avait contemplé le combat gisait un vieux guerrier, un homme du temps d’Hogland[1]. Sa main soutenait son front, son visage était pâle, sa poitrine ensanglantée.

« Pas un ami pour recevoir son dernier adieu ; la terre qu’il arrosait de son sang n’était point la chère patrie ; il était né sur les bords du Volga ; il était ici l’étranger détesté.

« Il souleva sa lourde paupière. Sur ce même rivage, tout près de lui, était étendu un jeune Finlandais à demi glacé par l’agonie. Il le reconnut.

« Dans l’ardeur du combat, quand les balles sifflaient, quand leur sang brûlait à tous deux dans leurs veines, furieux ils s’étaient rencontrés, et, l’un contre l’autre, ils avaient éprouvé leurs armes. Maintenant le jeune homme ne cherchait plus à combattre, et le vieux guerrier était calme.

« La nuit s’avance. Sur le lac, on entend un bruit cadencé. La lune, se dégageant tout à coup des nuages, éclaire la sinistre scène. Une barque glisse près du rivage. Une jeune fille seule en descend.

« Comme un fantôme inquiet ; elle erre en suivant les traces que la mort a laissées derrière elle. Elle cherche d’un corps à l’autre, et laisse tomber de

  1. Comme nous dirions : un vieux soldat du temps d’Austerlitz ou de Wagram.