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dire au milieu de la paix, de la joie pure, de la lumière, des chants, et dans l’espérance de la brillante aurore ! »


LA FILLE DU HASARD.

« Le soleil descendait à l’horizon ; le soir venait, un doux soir d’été. Une dernière lueur de pourpre enveloppait les cabanes et les champs. Une bande de paysans, las du travail du jour, mais le front joyeux, revenaient à leurs pauvres demeures. Leur ouvrage était fini.

« Leur ouvrage était fini ; leur moisson était faite, riche moisson cette fois ! Une troupe d’ennemis audacieux étaient couchés à terre ou prisonniers. Aux premières lueurs du jour avait commencé le combat ; quand la victoire fut complète, la nuit descendait sur la terre.

« Non loin du champ où s’était livré le long et sanglant combat, près du chemin était un pauvre hameau à moitié ruiné. Au seuil d’une chaumière une jeune fille était assise. Silencieuse, elle regardait, pendant que les moissonneurs passaient lentement.

« Elle regarde, elle cherche. Qui sait ce qu’elle pense ! Ses joues brûlantes sont plus rouges que les dernières teintes du couchant. Elle est immobile, mais tellement émue, tellement troublée, que, si elle écoutait comme elle regarde, elle entendrait battre son cœur.

« La troupe continue sa marche ; la jeune fille demeure attentive. À chaque rang, à chaque homme ses yeux adressent une question, question tremblante et pleine d’angoisse, question qui n’a pas d’autre voix que le souffle haletant qui sort de son sein.

« Mais tous ont passé, du premier au dernier. Alors la pauvre fille sort de son immobilité, alors elle se penche brisée ; elle n’éclate pas en bruyans sanglots, mais son front tombe dans ses mains, et de grosses larmes baignent ses joues brûlantes.

« — Que sert de pleurer ? lui dit sa mère. Prends courage, ma fille, tout espoir n’est pas perdu. Écoute ma voix ; tes larmes coulent inutiles ; celui que tes yeux cherchaient et qu’ils n’ont point trouvé vit encore : il a pensé à toi, il a vécu pour toi.

« Il a pensé à toi ; il a suivi mon conseil de n’aller point aveuglément chercher le danger. C’est le mot d’adieu que je lui ai dit tout bas quand il est parti avec les autres ; c’est par contrainte qu’il les suivait ; son humeur n’était pas de se battre ; je sais qu’il n’avait point envie de nous quitter, nous et la vie, qui lui était devenue si chère. »

« La jeune fille leva la tête, tremblante et comme éveillée d’un rêve douloureux. Ce fut comme si un grand trouble agitait son cœur. Elle n’hésita point, regarda subitement là-bas, où sur le champ de bataille s’élevaient encore de sinistres lueurs. Elle s’élança sur la route et se perdit dans le lointain.

« Une heure se passa, une heure encore. La nuit descendait, mais à l’horizon, sous le nuage argenté, flottait encore le pâle crépuscule. « Elle tarde encore… O ma fille, reviens ! ton inquiétude est vaine. Demain, avant que le soleil soit levé, ton fiancé sera ici. »

« Et la jeune fille revint. Elle s’approcha à pas lents. Ses yeux n’étaient plus voilés de larmes, mais la main qu’elle tendit à sa mère était glacée