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comblant de ses dons, — lui ont jeté l’anathème et se sont empressés de sonner pour ainsi dire son glas funèbre, nous avons, ce nous semble, donné sa mesure exacte et dit ce qu’elle a valu, et comme élément de bon ordre social, et comme barrière opposée aux révolutions, et comme réalisation des espérances qui avaient ramené l’Angleterre sous son joug. Ceci peut servir de leçon aux peuples obstinément en garde contre les doctrines du self-government.

De cet ordre d’idées, si nous revenons à des considérations purement littéraires, si nous nous demandons par exemple ce que la patrie de Chaucer, de Shakspeare et de Milton doit à la restauration de 1660, nous n’arrivons pas à des conclusions beaucoup plus favorables. De cette époque en effet date un travail singulier, qui, sous prétexte de les policer, de les réglementer, asservit et abâtardit les productions du génie anglais. Non que cette culture forcée, artificielle, n’ait donné çà et là quelques beaux fruits, — à vrai dire dépourvus de saveur ; mais, si l’on s’en tient aux résultats généraux, il faut bien constater que la transfusion du sang étranger dans les veines anglaises amena graduellement, des successeurs de Dryden aux prédécesseurs de Byron, — d’Addison et Pope à Darwin et Hayley, — en passant par Gray, Goldsmith, Mason, Pye, White-head, etc., — une sorte de paralysie toujours croissante, et qui allait devenir complète, lorsque Cowper et Burns donnèrent le signal de la résurrection. On en vit les premiers symptômes, — ce rapprochement nous est sans doute permis, — au moment même où l’Europe, émue, tressaillante, sentit s’agiter en elle cet avenir mystérieux dont nous n’ayons pas encore salué la naissance. L’Angleterre doit à ce réveil poétique des écrivains de premier ordre, qui, loin de la subir, et parce qu’ils ne la subissaient pas, se sont imposés à l’imitation : glorieuse indépendance que la littérature anglaise n’a plus reperdue, on le sait de reste ; — indépendance qu’elle pourrait avec profit rendre plus accessible, plus communicative, on ne le sait peut-être pas assez ! Telle qu’elle est, — et sans trop vanter ce qu’elle a d’absolu, de jaloux, d’exclusif, de mal à propos dédaigneux, d’isolant, — nous lui reconnaîtrons une grande supériorité relative : elle représente le peuple dont elle est appelée à développer l’intelligence bien mieux que ne le firent naguère les Rochester, les Etheredge, les Savile, avec leurs grâces étrangères, leurs traditions païennes, et le cynisme débraillé qu’ils avaient emprunté à nos poètes de ruelles.


E.-D. FORGUES.