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c’était pure civilité de sa part et sentiment des convenances à observer vis-à-vis d’eux. Au fond, il regardait tout cela comme un inutile et vide cérémonial. »

Il paraît, — toujours d’après Burnet, — qu’une de ses nombreuses aventures l’avait confirmé dans sa non-croyance. Cet incident remontait à l’époque la plus brillante de sa jeunesse, alors que, — cédant aux instincts généreux dont plus tard il fit si bon marché, — on l’avait vu risquer sa vie pour acquérir quelque renom. En 1665, lors de sa première campagne sur mer, il avait pour compagnons d’armes, sur le vaisseau le Revenge, deux de ses amis les plus intimes. Tous deux étaient fermement convaincus qu’ils ne reviendraient jamais en Angleterre, et comme Rochester les raillait de ce sinistre pressentiment, ils en vinrent tous les trois à cette convention, — dont il existe plus d’un exemple, — que si l’un d’eux venait à périr, il réapparaîtrait à ses amis, afin de leur donner, s’il y avait lieu, quelques notions sur l’état de l’homme après le trépas. Le jour où la flotte anglaise attaqua les Hollandais dans la baie de Bergen, les trois jeunes marins s’exposèrent à qui mieux mieux ; cependant l’un des deux prédestinés, vers la fin de l’action, se sentit tout à coup saisi d’un tremblement nerveux impossible à maîtriser, et le voyant incapable de se tenir debout, l’autre, le jeune Montague, courut à son aide. Comme ils se tenaient ainsi embrassés, un boulet ennemi vint les frapper tous deux mortellement. La coïncidence bizarre de leurs pressentimens sinistres et de leur funeste sort avait naturellement ému Rochester. Une conviction s’était faite en lui que l’âme humaine, distincte de l’organisme physique, tenait, par quelques liens mystérieux, à un monde invisible, où elle pouvait puiser, en telle ou telle circonstance donnée, la connaissance, le pressentiment des choses futures. Poussant plus loin ses déductions logiques, il crut pouvoir attendre l’exécution de la solennelle promesse que ses deux amis lui avaient faite, et comme cette promesse ne se réalisait pas, il en avait conclu, assez légèrement à coup sûr, que l’homme ne se survit pas à lui-même. Il est difficile de nier à meilleur marché la vie future, et Rochester était arrivé à l’incrédulité par la superstition, ce qui est vraiment assez extraordinaire chez un homme de sa valeur ; mais ceci admis, on s’étonnera moins que cette incrédulité ait facilement cédé aux pressantes attaques de l’impétueux Burnet[1].

Il faut reporter le début de ce grand travail à l’hiver de 1679. Rochester

  1. Le savant docteur rapporte aussi très gravement un autre incident de même nature, survenu, en présence de Rochester, chez sa belle-mère, lady Warre. Cette dame avait un chapelain, lequel rêva qu’il mourrait à jour fixe. La veille de ce jour annoncé d’avance, on se trouva treize à la table de lady Warre, et cette circonstance, relevée en raillant par quelques convives comme une confirmation de la triste prophétie, frappa singulièrement le pauvre prêtre, qui remonta chez lui tout tremblant, et fut trouvé mort le lendemain dans son lit. Sauf irrévérence et sauf erreur, nous ne pouvons voir dans tout ceci qu’une mauvaise plaisanterie, compliquée d’une mauvaise digestion.