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avec une partie d’entre eux ; poète, il usa de son privilège, qui était incontestablement celui du blâme absolu, de la censure à outrance, droit imprescriptible que le satirique conserve, mais avec moins de puissance et d’utilité, alors même que sa propre vie n’est pas en harmonie avec ses écrits, et lorsqu’il n’a pas su conformer sa conduite aux sévères doctrines dont il se constitue l’interprète. Ainsi le culte demeure pur alors même que le prêtre est souillé.

Nous avons dû relever les inconséquences, les inconsistances de Rochester, et, sans hésiter, constater le désaccord de sa vie et de ses écrits. En somme cependant, et malgré tout, il n’en reste pas moins à nos yeux le satirique par excellence du règne de Charles II. Dryden, lui, ne fut qu’un pamphlétaire merveilleusement doué, mais dans les écrits duquel ce temps ne revit pas comme dans ceux de Hamilton, Rochester, Butler et Andrew Marvell. Ne parlons ni de Pepys, ni d’Evelyn, chroniqueurs naïfs des « curiosités » qui passaient sous leurs yeux. Ceux-là furent des « satiriques sans le savoir. »

Dans l’œuvre de Rochester, deux ordres de compositions sont à signaler encore. Par le premier, il touche à l’épître philosophique, par le second à la satire non politique, à la peinture, à la critique des travers sociaux. Ce coureur de rues et de ruelles a eu ses heures sérieuses, ses instincts classiques ; il a imité Boileau. Pourquoi donc pas ? Lord Byron admirait bien Pope. Dans ces innocens recueils de chefs-d’œuvre échantillonnés et d’elegant extracts qu’on offre à l’admiration des écoliers, vous retrouvez ce nom effrayant. Il passe ainsi sous les yeux de telle pudique miss, au tablier blanc, aux joues roses, qui vieillira sans soupçonner jamais qu’il ait pu exister une créature comme Nell-Gwynn ou un suborneur comme John Wilmot. Le Discours sur le Rien, la Satire contre l’Homme, moyennant quelques expurgations préalables, ont cette étrange fortune de compter parmi les modèles universitaires, de pénétrer dans les boarding schools, d’être connus à l’égal d’une homélie de Paley ou d’une élégie de Gray. On peut en les lisant s’en étonner, car ce sont là deux morceaux, à notre avis, assez secondaires.

Établir in formâ l’infériorité de l’homme par rapport aux animaux, dont l’existence a toujours passé pour subordonnée à la sienne, invectiver tour à tour les passions que la raison domine et la raison qui doit leur servir de frein, chercher à presque toutes les actions humaines les mobiles les moins honorables, s’attaquer de préférence aux hommes qui ont mission de guider leurs semblables, — les chefs politiques, les pasteurs de l’église, — tel est le fond assez rebattu de ces déclamations, que l’auteur lui-même intitulait Paradoxes. Quelques vers énergiques, quelques antithèses, ne dissimulent pas le néant de ces boutades d’une misanthropie depuis lors bien plus éloquemment,