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ne va pas à son tempérament. Le parlement certes avait pour lui le bon droit, et il faut lui savoir un gré immense de l’obstination avec laquelle il combattit les doctrines de « non résistance ; » mais parmi les antagonistes de la cour figurèrent des ambitieux sans principes, que, si corrompue qu’elle fût, elle avait certainement le droit de mépriser. En face de ministres comme Arlington, Danby, Lauderdale, il est triste de voir des tribuns comme Ashley Cooper, Buckingham, Wharton, Cavendish. Le vif esprit de Rochester avait saisi cet aspect des choses qui l’autorisait à une impartialité méprisante, fortement empreinte dans tout ce qu’il a écrit. Las de distribuer à droite et à gauche ses sarcasmes vengeurs, c’est alors qu’il invoque Dieu et le peuple contre un ordre de choses impie et tyrannique.

De même qu’il se place, ennemi des deux parts, entre le roi et ses fidèles communes, de même on le retrouve entre le duc d’York et Monmouth. Il a pour le premier, avec toute la haine d’un protestant pour le fauteur secret du catholicisme, le mépris d’un homme d’esprit pour un lourdaud, d’un homme à bonnes fortunes pour la débauche empruntée, maladroite, incongrue. Dans sa satire on the Times, il l’accuse nettement, — et peut-être injustement, — d’une lâcheté signalée[1]. Toutefois, et nonobstant les rapports d’âge et de goût qui devaient le rapprocher de Monmouth, nonobstant aussi la popularité de ce royal bâtard, en qui avait mis toutes ses espérances le parti opposé aux conquêtes de Louis XIV et aux empiétemens du catholicisme, il ne le ménage pas plus qu’il n’a ménagé « frère Jacques. » Il assimile sa popularité à celle de Nell-Gwynn ; il s’étonne que, « si bien faits pour se comprendre et s’estimer, ces deux idoles de la populace ne vivent pas en meilleure intelligence[2]. » Que de ressentimens affrontés en quelques vers !

Mais Rochester ne comptait pas ses ennemis. Audacieux, souriant, amer, il semait le vent de l’insulte, peu soucieux des tempêtes qu’il pourrait récolter plus tard. Il se laisse entraîner par le besoin impérieux qu’il éprouve de flétrir les vices, les turpitudes, les sottises, les travers de ses contemporains. Homme d’action, il eût dû compter

  1. York, who thrice chang’d his ship thro’ warlike rage.
    Ce vers ironique est une allusion à la conduite du duc pendant la bataille navale deo Southwold-Bay. Il quitta effectivement le vaisseau le Prince, quand ce navire, entièrement désemparé, dut être remorqué hors de portée des canons ennemis ; mais ce fut pour passer sur le Saint-Michel, qui, vers cinq heures du soir, c’est-à-dire six heures après, canonné sans relâche, se trouvait presque hors d’état de rester à flot. Le duc d’York alla seulement alors s’installer sur le Londres et combattit encore, soit ce jour-là, soit le lendemain. Il n’y a là, ce nous semble, matière à aucun reproche.
  2. Voir le morceau vraiment curieux intitulé Panegyrick upon Nelly.