Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avoir passé successivement sous la protection d’un acteur et d’un avocat, dont est descendue une famille maintenant florissante, Nelly tomba d’abord dans les mains de Buckhurst, puis dans celles de Rochester. C’est alors qu’elle aurait employé ce dernier à faire révoquer une interdiction du lord chancelier qui empêchait la représentation d’une tragédie de Dryden… » En ce cas, et si le biographe a découvert la vérité, il se pourrait bien que le ressentiment de Rochester fût celui d’un protecteur capricieux, échangé, planté là, si l’on veut, par une créature insouciante et volage. Ainsi serait expliqué ce grand luxe de colère et d’invectives, qu’il aurait vraiment dû réserver à la Castlemaine ou à la Portsmouth,… à cette dernière, selon nous, de préférence.

Les vices effrontés et violens de Barbara Villiers, l’abandon, la désinvolture impudique de Mme Nelly, nous révoltent moins que l’égoïsme artificieux et poli, la dépravation froide et calculée de « mistress Carwell. » Nelly est un mélange de bohémienne et de grisette, dans lequel survivent quelque vertu, quelque dévouement, quelque bonté. La Cleveland, espèce de harpie, belle et farouche, qui prélevait sa dîme sur toutes les richesses de l’état, et jetait impudemment l’outrage à la face d’Ormond, de Clareridon, de Southampton, lorsque ces graves ministres essayaient de limiter les scandaleuses prodigalités dont elle était l’objet, — la Cleveland avait au moins pour elle le mérite de la franchise audacieuse, de la corruption sans masque, de la violence à front levé. Sous des dehors moins âpres, avec une rapacité plus discrète et plus habile, sans attachement réel pour l’homme qui la comblait de bienfaits, qu’elle espionnait, qu’elle excitait à trahir tous ses devoirs de souverain, n’ayant dans le cœur autre chose que des chiffres, dans l’esprit autre chose que des intrigues, doucereuse, hypocrite, ne se commettant qu’avec une odieuse préméditation, la duchesse de Portsmouth est un personnage bien autrement haïssable[1], car rien, ce nous semble, ne doit révolter un esprit bien constitué, une âme de quelque hauteur, comme un parti pris de vice et de honte, un froid

  1. Rappelons ici le joli tour donné à l’histoire de Mlle de Quérouailles par Mme de Sévigné. Lorsque Buckingham, de concert avec Louis XIV, eut présenté à Charles II l’ex-fille d’honneur de sa défunte sœur Henriette, appelée à Londres sous prétexte de religieux souvenirs : « Ne trouverez-vous pas bon, écrit Mme de Sévigné à Mme de Grignan, de savoir que Keroual, dont l’étoile avait été devinée avant qu’elle ne partit, l’a suivie très exactement ? Le roi d’Angleterre l’a aimée ; elle s’est trouvée avec une légère disposition à ne le point haïr ; enfin, etc. » Toute l’histoire de cette favorite est dans ce peu de mots, finement nuancés. La mort de sa maîtresse l’avait mise dans la nécessité, noble et sans fortune, d’opter entre le couvent et la singulière mission que lui destinaient de concert le roi de France et le favori du roi d’Angleterre. Son choix ne fut pas celui de mistress Lawson.