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Il paraît certain que mistress Lawson ne « franchit pas le seuil de sa destinée. » Un écrivain du temps, sir Philip Musgravë, raconte que les cinq filles de sir John Lawson entrèrent dans un des couvens d’York. C’est là tout ce qu’on sait d’une vie promise à la honte, donnée au ciel, — et quiconque s’arrêtera, dans la Beauty Room de Windsor, devant le tableau de Wissing qui porte le nom de mistress Lawson, — en contemplant cette calme et gracieuse figure, assise sous un grand arbre, contre un fût de colonne, au détour d’un vert sentier, en vue du manoir paternel, — ne se rappellera pas impunément la touchante apostrophe de Rochester.

Nous avons voulu indiquer chez le Pétrone anglais une veine d’indépendance presque démocratique, dont nous lui tenons compte. Nous avons aussi voulu constater en lui, dans une circonstance donnée, un élan de sensibilité délicate qui laisse croire à un fonds naturel de rectitude morale. Un juste sentiment critique ne permet pas d’aller plus loin dans cette voie. Sans le réhabiliter davantage, — il ne doit pas être réhabilité, — il nous aura suffi d’indiquer la portée de ses invectives épigrammatiques et d’avoir fourni les lumières indispensables, selon nous, pour la saine interprétation des terribles sarcasmes qu’il lança contre une cour débordée. Nous ne pouvons oublier qu’après avoir été corrompu par elle, il en devint un des corrupteurs les plus actifs.

Vis-à-vis des maîtresses royales, il joua un rôle double, rôle de chat tour à tour caressant et féroce. Il flatte, il mord. Observons cependant les nuances. Barbara Villiers, ou moins familièrement lady Castlemaine (qui fut plus tard baronne de Nonsuch, comtesse de Southampton, duchesse de Cleveland), était la parente de Buckingham, elle passe pour avoir été sa maîtresse ; elle fut un temps son alliée politique, et il ne lui en suscita pas moins, en fin de compte, sa rivale la plus dangereuse. Tout le monde connaît ses violences, ses exigences, les brouilles calculées qui la séparaient brusquement de Charles II, les coûteux raccommodemens qu’elle lui imposait par traités en règle. Rochester essaya-t-il de lui plaire ? La chronique scandaleuse ne le dit pas, et il se peut en effet qu’il n’ait pas brigué la gloire équivoque de figurer sur l’interminable liste de ce don Juan féminin, en compagnie du beau Jermyn, du spirituel Wycherley, du vaillant Churchill (Marlborough), du tragédien Harte, du comédien Goodman, et de Jacob Hall, le danseur de corde. Il y a cependant un madrigal qui peut soulever à cet égard quelques doutes. Rochester l’improvisa, nous dit-il, « après être tombé sur les degrés de White-Hall en voulant donner un baiser à la duchesse de Cleveland, qui descendait de carrosse ; » mais les madrigaux ont leur revers, comme les médailles, et celui-ci fut expié par mille traits acérés