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par alliance les nièces de la duchesse de Richmond, et dont l’une, remarquablement belle, fut destinée par sa noble tante à contrebalancer l’influence de la maîtresse française.

Cet honorable projet reçut un commencement d’exécution. Mise en évidence avec toute sorte de soins par le favori et par sa sœur, la victime choisie eut en effet le dangereux honneur d’attirer les regards du roi. Ses attentions pour elle devinrent quasi-officielles, et défrayèrent la curiosité publique. Ceux qui, par patriotisme ou par toute autre raison, détestaient « la Quérouailles, » n’espéraient plus qu’en mistress Lawson[1]. Rochester devait être du nombre, car il a bien des fois, dans ses vers, attaqué « Mme Carwell. » Cependant le sort de cette jeune fille, traînée en quelque sorte par ses proches au bord de l’abîme, au seuil du déshonneur, et sur le point de succomber aux tentations dont on l’environne, semble l’avoir profondément ému.

Comment interpréter autrement l’étrange satire qu’il a intitulée : le Royal Pêcheur (the Royal Angler) ? Charles II, qui effectivement passait trop souvent au bord des étangs de Datchet les heures qu’il eût dû consacrer à l’état, y est rudement malmené pour sa fainéantise indolente : « Son sceptre peu à peu devient une ligne… Le sort de ses victimes devrait cependant bien lui servir de leçon, à lui que chaque hameçon tendu trouve si niaisement vorace… » Ce qu’étaient ces hameçons, la satire ne nous le laisse pas ignorer : elle s’en explique avec la licence d’expression qui lui est propre ; mais tout à coup le poète change de ton. Une adjuration pathétique, — certes bien imprévue, — est adressée par lui à la pauvre enfant qu’il voit, en ce moment même, servir d’amorce :


« Et pourtant, Lawson, toi qui seras bientôt plus obéie du prince qu’il ne l’est de nous, toi qui vas t’emparer à la fois de son cœur et de son empire, bien qu’il puisse te sembler glorieux de commander à qui commande, et de régner sur qui règne, ne t’abandonne pas à ces vaines illusions ! Avant qu’elles t’aient séduite, ô douce fille crédule et sans expérience ! avant qu’il soit trop tard, réfléchis encore, sur le seuil d’un destin nouveau, prête à le franchir… »


Voilà des vers comme aucun poète du temps de Louis XIV, — non, pas même le complaisant auteur d’Esther, — n’en eût osé adresser à La Vallière encore hésitante. Et où faut-il les aller chercher ? Parmi les témérités poétiques du plus débauché courtisan qu’ait eu le plus débauché des princes.

  1. Sous le règne de Charles II et longtemps après, ce titre de mistress jetait la qualification ordinaire d’une jeune fille. Les femmes mariées étaient appelées madam. Le mot miss ne s’employait que rarement, et il impliquait une familiarité inadmissible en bien des cas.