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le plus énorme des blasphèmes… Maudits soient à jamais leur pouvoir et leur nom… Que l’exécration de l’univers tombe sur ces monstres proclamés sacrés par les vils coquins qui veulent s’agenouiller devant eux ! Qu’y a-t-il donc de divin chez tous ces princes ? La plupart sont loups ou moutons, boucs ou pourceaux… »


Nous n’ajoutons, nous n’aggravons rien ; nous abrégeons au contraire, et les convenances nous forcent d’atténuer. Nous ne nous dissimulons pas cependant l’étrangeté de nos citations. On va dire sans doute que nous sommes dupe de quelque bévue d’éditeur, que la satire en question (The Restauration, or the history of Insipids, a lampoon) est probablement apocryphe, que jamais un favori de Charles II n’a ainsi anticipé sur les invectives de Camille Desmoulins ou de Danton. À cette objection voici notre réponse : s’il est une satire authentique entre toutes parmi celles de Rochester, c’est bien celle qui, pour la seconde fois, le fit bannir de la cour. Que dira-t-on, si nous y retrouvons exactement la même idée, la même profession de foi ? A la vérité, il n’est d’abord question, dans ce morceau vraiment curieux[1], que de l’indolence de Charles II, de son goût pour les plaisirs faciles, et ce dernier point est traité avec une liberté de langage toute latine, qui défie la citation textuelle. Deux vers assez chastes pourtant se trouvent mêlés à ces dérisions obscènes, et ces deux vers, les voici :

I hate all monarchs, and the thrones they sit on
From the Hector of France, to the Cully of Briton.

« Je hais tous les princes, et jusqu’aux trônes où ils siègent, depuis l’Hector français jusqu’au Ménélas britannique. » Voilà où en est, après sept ou huit ans de faveur royale, le propre fils d’Henry Wilmot : contraste saisissant, et ce n’est pas le seul que nous offre la lecture attentive des satires de Rochester.

Nous venons en effet de le voir démentir, — et de quelle étrange façon ! — le royalisme qu’on attend de lui ; nous allons le surprendre, — c’est le mot, — en flagrant délit de vertu sévère, de chaste morale, de délicatesse épurée. Pour en être surpris comme nous le sommes, il faut avoir eu sous les yeux ces pages immondes où une licence effrénée a rassemblé des tableaux qui rappellent les plus scandaleuses énormités d’Aristophane. Presque à chaque page, on y rencontre de ces mots que les caractères d’imprimerie, — ces caractères si complaisans, — semblent se refuser à reproduire, de ces mots qui font peur aux libraires, obligés de les cacher sous une initiale, ou de les remplacer par un hiatus auquel devra suppléer

  1. Rochester’s Poems, éd. 1739, pag. 81.
    In the isle of Great Britain, long since famous known, etc.