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nous fallait passer anathème sur telle ou telle poésie, — Don Juan, par exemple, qui semble, au premier abord, irrémissible, — nous serions tenté, d’y regarder à deux fois en nous rappelant que lord Byron a trouvé ses adversaires les plus implacables, — ils étaient les moins désintéressés, — parmi les dandies et les étoiles d’Almack. Ses juges les plus sévères furent ceux-là même dont il avait partagé les désordres secrets, et dont il disait, bien des années après, à ses plus intimes amis, « qu’il n’y avait rien de plus corrompu en Europe. » A la lueur de ce mot terrible, Don Juan n’est plus tout à fait l’audacieux, l’impur badinage si énergiquement réprouvé au nom de la moralité publique. Il prend le caractère d’une spirituelle et courageuse protestation opposée par l’esprit du siècle à des désordres renouvelés d’un autre âge. Voyons si nous ne pourrions pas envisager ainsi les libres satires de Rochester.


VI

Rendons-nous bien compte de sa jeunesse. Lorsqu’à douze ans il entre comme nobleman parmi les étudians de Wadham-Collège (Oxford), la restauration n’est pas encore faite ; lorsque, deux ans après (1661), lord Clarendon lui donne l’accolade comme maître ès-arts, ce n’est encore, à vrai dire, qu’un enfant. Il part pour le continent, il visite la France et l’Italie sous la direction d’un savant écossais qui, pour un temps, sut tenir en échec les instincts fougueux éveillés chez son jeune disciple au sortir de l’université. Il n’était sorte de stratagèmes ingénieux que n’employât le docteur Balfour, durant ces voyages d’éducation, pour réveiller le goût de l’étude et le sentiment du devoir moral chez cet adolescent si richement doué. Peut-être, le gardant quelques années de plus, l’eût-il solidement établi sur cette voie nouvelle ; mais en 1665 le maître et l’élève rentrent en Angleterre. Rochester a dix-huit ans. Il débute à la cour. L’esprit de son temps, l’esprit cavalier s’empare de lui. Cet esprit impliquait à la fois des tendances vers la misanthropie déiste de Hobbes, vers l’épicurisme de Saint-Évremond, et vers le catholicisme bigot qui fut celui de Jacques II, — ce dernier dogme envisagé comme remédiant à ce que les croyances protestantes avaient d’hostile au principe de la monarchie absolue. Sous Charles II, on pouvait être athée ou déiste, indifférent ou catholique ; mais il fallait, à tout prix, n’être puritain d’aucune façon.

Cependant commençait à se révéler cette impopularité que Macaulay à si bien décrite dans sa belle introduction au règne de Jacques II[1]. Les royalistes l’avaient en quelque sorte inaugurée par

  1. The History of England from the accession of James II, chap. II, p. 75, de l’édition Galignani.