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dans Pall-Mall par trois bravi étrangers. Dûment convaincu de les avoir soudoyés, obligé de fuir comme leur complice, gracié seulement par l’intervention directe de Charles II, il promettait de se laver de « cette peccadille » sur la première brèche où il lui serait donné de monter l’épée à la main. Il l’expia plus cruellement lorsque, dans le palais d’Herrenhausen, le père de George Ier le fit étrangler sur le seuil de la chambre à coucher où l’avait reçu Dorothée de Zell.

Quant à lord Mulgrave, il paraît que l’aventure le divertit fort. Du moins les éloges qu’il donna plus tard à Dryden dans l’Essai sur la Poésie laissent-ils percer une étrange ironie. Lord Mulgrave y vantait le mérite du poète, « loué et puni pour des vers qu’un autre a faits, »

Praised and punish’d for another’s rhymes.


La réclamation est formelle, comme on le voit ; elle est en outre appuyée d’une note curieuse. « On entend parler ici, dit le noble auteur, de ces vers manuscrits pour lesquels M. Dryden fut à la fois applaudi et bâtonné. Non-seulement il ne les avait point composés, mais encore il en ignorait l’existence. » Ce dernier point est plus qu’invraisemblable ; le premier nous semble assez bien établi.

Ainsi des ennemis comme Rochester, des amis comme lord Mulgrave, voilà ce qu’un poète, — sans contredit le plus éminent de l’époque, — pouvait attendre de l’aristocratie anglaise, alors beaucoup plus lettrée qu’elle ne l’est maintenant et bien autrement avide de succès littéraires. Il est facile dès-lors de décider si le progrès des idées libérales et le nivellement des existences se soldent pour les élus de la pensée par un bénéfice ou par une perte, si Dryden voyait juste, quand il saluait avec enthousiasme la restauration du règne monarchique, et si la protection des rois ou de leurs favoris « ne vend pas bien cher ce qu’on croit qu’elle donne. » Quiconque voudra connaître au juste le sort fait aux gens de lettres par les institutions tant prônées à ce point de vue n’aura qu’à étudier la biographie des écrivains qui ont marqué en Angleterre sous Charles II et ses successeurs. Richard Savage, le « grand Dryden, » Swift, Goldsmith, Richard Steele, Smollett, Gay, et bien d’autres encore, voilà les témoins qui seront utilement écoutés. Encore ces derniers eurent-ils le bonheur de vivre au début du régime constitutionnel, qui assurait en partie leurs droits, et donnait quelque indépendance, quelque importance à leurs talens. Sous Charles II au contraire, et jusqu’à la reine Anne, la littérature fut solennellement bâillonnée, à ces fins, plus ou moins plausibles, « d’empêcher la publication de livres soutenant des opinions contraires à la foi chrétienne, à la doctrine ou à la discipline de l’église d’Angleterre, ou tendant à la diffamation de l’église ou de l’état, ou de ceux qui les gouvernent, ou