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sa précieuse personne avec un ex-cornette, bretteur habile et résolu.

Si pauvres d’esprit, de cœur, d’argent, qu’on les veuille supposer, comment tous ces hommes consentirent-ils à passer ainsi tour à tour par les griffes de Rochester ? Comment ce dernier put-il les lâcher l’un après l’autre, molosses avides et hargneux, sur le très pacifique et trop inoffensif Dryden ? Derrière les empressemens intéressés de sa périlleuse protection, comment ne devinaient-ils pas le dédain avec lequel il faisait d’eux ses jouets, rejetés et brisés dès qu’ils lui avaient un moment servi ? Et si toute pénétration comme toute conscience n’était pas morte en eux, de quelle ardeur hostile, de quelle sourde rage ne durent-ils pas être animés contre un régime politique qui leur imposait, au prix de quelques poignées d’or, un rôle si odieux, si méprisable, si parfaitement ridicule ? Otway en effet, malgré son incontestable supériorité, fut traité comme les autres. Il avait flatté Rochester, il avait dédié « à ce bon et généreux patron » sa seconde tragédie : Titus et Bérénice (1677). Cependant presque aussitôt après parut un de ces poèmes-revues, qui, sous le titre de Sessions of Poets, ont fréquemment et longtemps servi de cadre chez nos voisins à la satire littéraire. On y suppose une sorte de concours présidé par Apollon, qui pèse les titres de chaque poète, et finit par couronner le plus digne. Dans celui-ci comparaîtront toutes les renommées contemporaines grandes et petites, celles qui ont survécu comme celles que l’oubli a le plus profondément enfouies dans ses vastes abîmes. Dryden se présente à la barre du tribunal. Le dieu des vers repousse le candidat suranné ; il le repousse par un singulier motif, « parce qu’on le soupçonne de vouloir endosser la soutane. » Cette allusion satirique serait perdue pour nous, si nous ne savions que, justement à cette époque, une belle actrice, dont Dryden était l’amant, miss Reeves, — la Champmeslé du Racine anglais, — venait de se faire religieuse. Moyennant cette explication, chacun peut comprendre l’épigramme à deux tranchans qui atteignait le poète et dans sa renommée et dans sa tendresse, qui le frappait à la tête et au cœur. Après Dryden vient Etheredge, bien autrement ménagé ; on reconnaît ses titres, mais sept années improductives mettent hors de concours l’aimable et spirituel paresseux. Wycherley est de trop bonne race pour l’emploi qu’on se dispute. Ce n’est pas un gentilhomme lettré qui le peut remplir, mais bien un marchand d’esprit ayant boutique ouverte et enseigne sur la rue. « Ainsi, pour être lord-maire, il faut prouver sa roture. » Tom Shadwell, gros, gras, jovial, braillard, obscène personnage, est très cordialement reçu par Apollon, qui néanmoins le renvoie à ses bouteilles et à certaines exhibitions tout à fait rabelaisiennes, qui parfois, après boire, l’assimilèrent à l’inventeur de la vigne. Nathaniel Lee « a la trogne trop