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Donc, comme Warwick jadis faisait et défaisait les rois, Rochester, en ses caprices ironiques, faisait et défaisait les poètes. On put s’en assurer dès l’année suivante. Elkanah Settle ayant eu la bonhomie de se prendre au sérieux, ses prétentions bouffonnes fatiguèrent son léger protecteur. Dryden, Crowne, Shadwell, réunis tous trois contre ce pygmée, l’avaient assez malmené dans une polémique où il avait eu l’imprudence de se risquer. Il était temps d’anéantir cette ridicule création. Aussi, lorsque les lords et ladies de l’entourage intime voulurent, en 1675, jouer un masque[1] à White-Hall, on ne le demanda ni à Dryden, le poète lauréat, ni à son illustre rival, Elkanah Settle. Un troisième larron, suscité par Rochester, eut la préférence. Crowne obtint, lui aussi, son jour de gloire. Sa Calisto, œuvre absurde, informe, inepte de tous points, — mais recommandée par le choix de la cour, représentée en grande pompe, rehaussée par les titres sonores des nobles comédiens et comédiennes qui avaient créé les principaux rôles, — fit son chemin tout comme l’Impératrice du Maroc. Une fois encore le jugement de la ville fut ébloui, aveuglé, faussé par le prestige aristocratique.

La conduite de Dryden en cette occasion fut assez misérable. En se révoltant contre le succès de Settle, il avait obéi à un juste sentiment de dignité offensée ; nous le blâmerons pourtant de n’avoir pas songé qu’il n’y avait rien à gagner dans une lutte de ce genre pour le seul des deux antagonistes qui pût y perdre quelque chose. Se voyant préférer Crowne, comique médiocre et tout à fait incompétent lorsqu’il s’agissait de poésie sérieuse, il aurait dû garder le silence prescrit par le code du bon goût à toute supériorité méconnue. Il crut mieux faire encore en s’associant au passe-droit éclatant qu’on lui faisait subir. Il s’offrit à composer un épilogue pour Calisto, il le composa même, ainsi que l’attestent ses œuvres complètes[2], et Rochester eut la cruauté, comme il en avait le crédit, de faire rejeter, comble d’humiliation, cet avilissant hommage. Dryden fut reconnu indigne de louer Crowne. Crowne lui-même toutefois n’avait pas longtemps à savourer sa gloire improvisée. Toujours en haine de Dryden, jamais par un zèle sincère ou pour les intérêts de l’art, ou pour ceux d’un artiste, Rochester allait le faire descendre du Capitole à la roche Tarpéienne. C’étaient là de ses jeux. Pour le coup maintenant, le rival qu’il suscitait à Dryden était un vrai poète, et son nom était appelé à survivre.

  1. Pastorale dramatique. — Le Comus de Milton est un masque.
  2. Epilogue intended to have been spoken, by yhe lady Henr. Mar. Wentworth, when CALISTO Was acted at the Court. — Lady Wentworth n’était autre que cette « blonde Blague » dont les cheveux d’albinos, décorés de rubans jaunes, font si bonne figure dans les Mémoires de Grammont. Elle était belle-sœur de Sidney, comte de Godolphin.