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comédiens à laquelle le roi prêtait son patronage et son nom, enrôla le protégé de la Castlemaine et lui assura par là une sorte de monopole. Dryden ne devait plus écrire que pour les « serviteurs de sa majesté. » Il n’avait plus besoin de protecteurs désormais ; les protecteurs lui vinrent en foule. Déjà familier des Howard, il acquit peu après le patronage de la riche duchesse de Monmouth[1], et enfin dans tout l’éclat, dans toute la nouveauté de l’espèce de royauté littéraire qu’il venait de conquérir, il put épouser (1665) lady Elisabeth Howard, que les lampoons du temps accusent de s’être mise dans l’absolue nécessité de le prendre pour mari.

À l’énorme quantité d’attaques de tout genre dirigées dès-lors contre sa personne, ses mœurs, son mariage, ses talens, on peut s’assurer que Dryden occupait à ce moment la position littéraire la plus enviée. Ses confrères, qui lui disputaient un à un tous ses succès, se découragèrent à la longue, et pour un temps le laissèrent trôner en paix. Cependant, même avec les avantages réunis d’une naissance non roturière, d’alliances très aristocratiques, d’une position d’autant mieux assise qu’elle se justifiait à la fois par beaucoup de travail et beaucoup de talent, tel était sous la restauration le rôle fait aux poètes, — voire aux poètes aimés de la cour, — que Dryden, âgé de quarante et un ans, membre de la seule société savante qui existât alors en Angleterre, auteur de maints drames applaudis, de maints poèmes admirés, arbitre reconnu des gens de goût, dut s’estimer heureux de compter un protecteur de plus dans la personne d’un jeune débauché de vingt-cinq ans, qui, gâté par le roi et par les sultanes favorites, régentait le beau monde, panache au vent. Rochester, se mêlant de belles lettres quand il fut rassasié de la vie de boudoir et de la vie de cabaret, voulut patronner Dryden. Dryden dut s’estimer fort heureux d’être patronné par Rochester. Ouvrez celle de ses comédies où il a le mieux traduit les ridicules de son temps (le Mariage à la Mode, joué en 1673), et vous y lirez en toutes lettres le triste aveu de cette dépendance que nous devons croire, pour l’honneur du poète, subie à regret, et qui, nous l’allons voir, fut plus tard rudement expiée.


« C’est à la faveur de votre seigneurie, — dit Dryden à Rochester, — qu’en général nous devons d’être protégé et soutenu. Nous le devons aussi à la noblesse de votre nature, qui ne veut pas voir mépriser chez les autres le moindre reflet de ce bel esprit, son attribut le plus éclatant. Il vous a plu souvent, non-seulement d’excuser ce que mes vers offrent d’imparfait, mais aussi de protéger contre la malveillance de la critique ce qu’ils peuvent

  1. Anne Scott, morte en 1732 lady Cornwallis. — C’est d’elle que descend le duc de Buccleugh actuel.