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roué de coups un buveur récalcitrant, l’argent afflue chez lui, il est honoré et respecté de tout le monde, et il a acquis le droit d’insulter ceux qui le font vivre. « Il n’a pas son pareil dans toute l’Angleterre, dit un buveur. — Non, dit un autre. L’homme qui a pu battre Tom Hopton pourrait battre le monde entier. — Je suis fier de lui, dit le premier. — Et moi aussi, dit le second ; je le défendrai contre tout le monde. Que j’entende un peu quelqu’un dire quelque chose contre lui, il aura affaire à moi. Et alors, regardant de mon côté, il ajouta : Avez-vous quelque chose à dire contre lui, jeune homme ? » Pendant ce temps, l’hôte va et vient dans la salle, provoquant et rudoyant ses pratiques. « Faites place au comptoir, faites place, messieurs, pour moi et mon ami, et lestement. — Que voulez-vous prendre, notre hôte ? un verre de sherry ? je sais que vous l’aimez, dit un buveur. — Que le diable vous emporte, vous et le sherry ; je ne me soucie pas de vous. N’avez-vous pas entendu ce que je vous ai dit ? — Très bien, très bien, vieux camarade je ne désire pas être importun. — Et avec un gracieux « serviteur, monsieur, » qu’il m’adressa, il nous laissa seuls. » De nouveaux habitués arrivent. « Qu’ils attendent que j’aie le temps de les servir ! dit l’hôtelier. — Mais la salle ne les contiendra pas tous. — Qu’ils se mettent dehors ! — Mais il n’y a pas assez de bancs. — Qu’ils se tiennent debout ou s’asseient par terre ! » Tels sont les résultats d’un coup de poing bien appliqué. Cette misérable taverne n’est-elle pas un miroir grossier, mais fidèle, dans lequel se réfléchissent toutes les lâchetés sociales et toute l’arrogance des triomphateurs.

Lavengro enfourche le cheval acheté avec les guinées de M. Petulengro, lui met les rênes sur le cou et le laisse libre d’aller à l’aventure. La première aventure qu’il raconte est d’un Sterne sans fausse sensibilité, d’un Sterne batailleur et boxeur. Il rencontre un vieillard assis sur le bord de la route, pleurant à chaudes larmes, et qui raconte qu’on vient de lui voler son âne : « Je revenais du marché, dit-il, lorsque j’ai rencontré un homme avec un sac sur les épaules qui m’a demandé si je voulais lui vendre mon âne. Je lui ai répondu que je ne songeais pas à le vendre, car il m’était très utile, et que d’ailleurs je l’aimais autant que s’il était ma femme ou mon fils. J’essayai de passer outre, mais le gaillard s’est planté devant moi en me demandant de le lui vendre et qu’il me l’achèterait à n’importe quel prix. Alors, voyant qu’il persistait, j’ai répondu que j’en voulais six livres. Je disais cela pour me débarrasser de lui et parce que je voyais bien qu’il était un pauvre diable qui probablement ne possédait pas six shillings ; mais j’aurais mieux fait de retenir ma langue, car je n’avais pas fini de parler que, déposant son sac, il en a tiré une balance, s’est dirigé vers ce tas de pierres et en a pesé quelques-unes