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« — Vous devrez répondre vous-même à cette question, Gaspard.

« — N’est-ce pas un drôle espiègle et fripon, frère ?

« — Oui, oui, Gaspard.

« — Qui n’est d’aucune utilité, frère ?

« — Exactement, Gaspard ; je vois…

« — Quelque chose qui ressemble fort à un coucou, frère ?

« — Je vois où vous voulez en venir, Gaspard.

« — Vous voudriez être débarrassé de nous, n’est-ce pas ?

« — Non, pas précisément.

« — Nous ne sommes pas un ornement pour les vertes campagnes dans les temps du printemps et de l’été, n’est-ce pas ? Et les voix de nos filles, avec leurs chansons et leur bonne aventure, ne contribuent pas à les rendre plus gaies ?

« — Je vois où vous voulez en venir, Gaspard.

« — Vous voudriez métamorphoser les coucous en oiseaux de basse-cour, n’est-ce pas ?

« — Je ne puis dire cela pour mon compte, Gaspard ; mais il y en a d’autres qui le voudraient peut-être.

« — Et changer les garçons et les filles gypsies en tisserands mécontens et en ouvrières de manufactures, frère ?

« — Je ne puis dire cela, Gaspard. Vous êtes certainement un peuple pittoresque, et à beaucoup d’égards un ornement pour nos villes et nos campagnes ; notre peinture et notre littérature vous ont aussi beaucoup d’obligations. Quels jolis tableaux ont fournis vos groupes et vos campemens, et que de jolis livres on a écrits dans lesquels les principaux personnages étaient des gypsies ! Je crois que si nous ne vous avions plus, nous vous regretterions.

« — Absolument comme vous regretteriez les coucous, s’ils étaient tous transformés en oiseaux de basse-cour. Je vous dirai, frère, que très souvent, lorsque j’étais assis sous une haie, au printemps ou en été, et que j’entendais chanter le coucou, j’ai pensé que les gypsies et les coucous se ressemblent sous plus d’un rapport, surtout sous le rapport du caractère. Tout le monde parle mal de nous, et chacun est bien aise cependant de nous voir.

« — Oui, Gaspard ; mais il y a une différence entre les hommes et les coucous : les hommes ont des âmes, Gaspard.

« — Et pourquoi pas les coucous, frère ?

« — Vous ne devriez pas parler ainsi, Gaspard ; ce que vous dites ressemble à un blasphème. Comment un oiseau aurait-il une âme ?

« — Et comment un homme en aurait-il une ?

« — Oh ! nous savons très bien que l’homme a une âme.

« — Comment le savons-nous ?

« — Nous le savons très bien.

« — En feriez-vous le serment, frère ? en lèveriez-vous la main ?

« — Mais oui, je pense que je le ferais, Gaspard.

« — Avez-vous jamais vu l’âme, frère ?

« — Non, je ne l’ai jamais vue.

« — Eh bien ! comment pourriez-vous jurer qu’elle existe ? La jolie figure que vous feriez en cour de justice, d’affirmer l’existence d’une chose que vous