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d’Isopel. « Permettez-moi, madame, d’arranger votre chevelure : je m’estimerais heureuse si vous me donniez cette marque de complaisance ! Vous êtes très belle, madame, oui, très belle ; j’aime les personnes qui comme vous ont le teint blanc et la chevelure blonde ; j’ai moins de goût pour les teints bruns et les chevelures noires. — Pourquoi donc alors avez-vous congédié le jeune lord pour me suivre ? interrompt M. Petulengro. — Les gens ne savent pas toujours ce qu’ils font quand ils sont jeunes ; ils font des choses dont ils se repentent plus tard quand ils ont plus d’expérience… Je vous en prie, madame, laissez-moi tresser votre chevelure ; cela fera plaisir au jeune gentleman… Ah ! ah ! il y a bien des dames qui voudraient faire plaisir au jeune gentleman, s’il consentait seulement à demander une faveur ; mais il est fier et semble avoir bonne opinion de lui-même… Vous êtes bien belle, madame ; si vous alliez dans la grande ville, vous feriez certainement sensation. J’ai bien fait sensation, moi qui pourtant suis si brune. » Et le flux de paroles continue à couler de la bouche de la bohémienne comme un léger chant d’oiseau qui recommence toujours, pendant qu’elle contemple avec une admiration enfantine la figure d’Isopel, et que d’une main caressante elle lisse et tresse ses bandeaux.

Les gypsies, comme les personnes du beau monde, rendent toujours les politesses qu’ils reçoivent, et Lavengro fut invité à souper chez M. et Mme Petulengro : un singulier souper, composé de viande de porc et de rôti d’écureuil. Au dessert, mistress Chikno chante un chant en langue gypsy, qui peut donner à la fois une idée de la poésie et des mœurs de cette étrange population.


« — Écoutez-moi, garçons de la Romanie, — qui êtes assis sur la paille auprès du feu, — et je vous dirai comment on empoisonne le cochon, — comment on s’y prend pour empoisonner le cochon.

« Nous allons à la boutique de l’apothicaire, — où nous achetons pour trois sous de poison, — et quand nous retournons auprès de nos frères, nous disons : — Nous empoisonnerons le cochon, — nous trouverons manière de l’empoisonner.

« Alors nous préparons le poison, — et nous nous dirigeons vers la demeure du fermier, — comme pour mendier quelques débris de nourriture, — quelques restes mis au rebut.

« Nous voyons un joli cochon, — et alors nous disons en langage romany : — Jette le poison au milieu de la boue, — le cochon le trouvera bien vite ; — pour sûr il le trouvera.

« De bonne heure, le lendemain, nous retournerons à la ferme, — et nous demanderons le cochon crevé, — le corps du cochon crevé.

« Et ainsi faisons-nous, ainsi faisons-nous, — le cochon est mort pendant la nuit. — Le matin nous demandons le cochon — et nous l’emportons dans notre tente.

« Et là nous lavons bien l’intérieur, — jusqu’à ce qu’il soit parfaitement