Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce que cette jeune femme est votre épouse, jeune homme ? — Non, elle n’est pas mon épouse. — En ce cas, je ne cultiverai pas sa connaissance. Je n’entends autoriser en rien la mauvaise conduite et les ménages vagabonds ; j’ai trop souffert des infidélités de Tawno pour encourager jamais les ménages vagabonds. — A propos, interrompt Lavengro, et Tawno, je ne le vois pas ? — Demandez où il est à ceux qui l’encouragent dans son vagabondage, répond mistress Chikno en jetant un regard du côté de Petulengro. — Mais aussi quelle singulière idée, murmure ce dernier, pour une femme aussi disgracieuse, d’avoir épousé le plus bel homme de la race romany ? — Mistress Chikno est donc prude et jalouse ni plus ni moins qu’une femme civilisée. Qui pourrait aussi croire que, dans cette vie errante, l’homme ait à subir les lois de la destinée ? Rien pourtant n’est plus vrai : il y a des bohémiens qui semblent nés sous une mauvaise étoile, comme de simples civilisés ; rien ne leur réussit. Ils ne trouvent aucune bonne aubaine, la fortune se rit d’eux. S’il y a quelque mauvais coup à recevoir, il tombe droit sur leurs épaules. Un des membres de la société Petulengro est né sous cet astre fatal. En vain ses camarades essaient de lutter pour lui contre le sort ; en vain les jeunes bohémiennes, en le voyant laid et malheureux, cherchent à le consoler, rien ne peut sauver le malheureux Sylvestre, et il est réduit à vivre aux dépens de la bande fraternelle, à jouer le rôle de parasite et de mendiant dans la société bohémienne.

Au contraire tous les bonheurs pleuvent sur M. et Mme Petulengro. Contemplez un peu l’excentrique et riche costume du bohémien. Sa chemise, de la plus fine toile, est aussi blanche que celle du plus soigneux dandy, sa veste courte et bien coupée a pour boutons de larges écus de trois francs ; des demi-guinées forment la garniture de son gilet rouge et noir ; ses larges pantalons sont en velours rayé, ses bottes sont garnies de fourrures, et il tient à la main, pour se donner une contenance, une élégante cravache en baleine, garnie d’une poignée en argent. Aussi a-t-il l’aplomb que donne la richesse, ou un beau costume, ou une figure passable. Voyez comme il se présente bien ! « Nous voici, frère, dit-il à Lavengro ; nous sommes venus tous deux, le sorcier et la sorcière, la sorcière et le sorcier. » Et mistress Petulengro ! elle est chargée de bijoux qui reluisent merveilleusement sur sa peau brune, et font ressortir le ton noir de sa chevelure, qui tombe en longues tresses sur son front. Mistress Petulengro est une femme coquette, et dont les yeux bohémiens convoitent toutes les jolies choses terrestres. Jadis un jeune duc lui avait proposé artificieusement d’être sa seconde femme. Elle a de singulières allures, et on peut soupçonner qu’elle ferait plus d’un métier. Ainsi sa première pensée est de tresser à sa fantaisie la chevelure